Aller directement au contenu

    En Birmanie, le «lent génocide» des Rohingya

    Plus de 123.000 membres de la minorité musulmane du pays ont quitté la Birmanie ces deux dernières semaines, un pic dans l'exode causé par les persécutions de l'armée.

    Environ 123.000 membres de la communauté rohingya, une minorité musulmane de Birmanie, ont été forcés de passer la frontière pour trouver refuge au Bangladesh voisin, ont déclaré les Nations unies (ONU) mardi 5 septembre.

    Les gens ont commencé à fuir après qu'un groupe armé se faisant appeler l'Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) a attaqué des postes militaires birmans la semaine dernière pour lutter contre les abus de l'armée, entraînant immédiatement une répression contre les Rohingya.

    Les vidéos et les images partagées sur les réseaux sociaux montraient une foule de gens en train de fuir.

    Their houses burnt down. #Myanmar military continuously killing them. No place to hide. Yet searching safe heaven.… https://t.co/wbQhHDIY1c

    Avant cet exode, des centaines de milliers de Rohingya avaient déjà fui la Birmanie; 400.000 sont déjà au Bangladesh.

    Si cette vague de départs est récente, les violences et la discrimination contre les Rohingya durent depuis des décennies en Birmanie.

    En 2015, la fuite des Rohingya vers l'Indonésie et la Malaisie rappelle les périples des boat-people dans les années 1980. On estime que 25.000 personnes ont fui les persécutions, selon les chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés, traversant souvent la mer sur des embarcations de fortune et exploités par des passeurs sans scrupules.

    La loi birmane sur la citoyenneté de 1982 ne reconnaît pas de droits civiques aux Rohingya, ce qui les rend de fait apatrides.

    Le Parlement birmana décidé il y a deux semaines de ne pas modifier cette loi. Les représentants estiment – comme une grande partie du pays, dont Aung San Suu Kyi, l'ancienne militante des droits de l'homme et cheffe du parti au pouvoir – que la minorité Rohingya ne fait pas partie des 135 minorités reconnues par le pouvoir. Ils les considèrent donc comme des migrants en situation irrégulière, malgré la présence de la communauté dans le pays depuis des siècles. Ils affirment que les Rohingya sont en fait bangladais – ce que le gouvernement du Bangladesh réfute.

    Quoiqu'il en soit, les lois contre les Rohingya n'ont cessé de se durcir au fil des ans. Une loi de 2015, passée sous la pression des nationalistes bouddhistes, interdit aux Rohingya de se marier sans autorisation. Les enfants rohingya sont exclus des écoles publiques et doivent être scolarisés dans le privé – un luxe qu'ils ne peuvent pas se permettre – ou dans des écoles dirigées par des imams.

    Le nombre de victimes a grimpé en flèche. Environ 400 personnes –dont 29 membres de l'armée birmane – ont été tuées dans les affrontements consécutifs à l'attaque de l'ARSA, explique Associated Press.

    La réponse de l'armée birmane a été disproportionnée, selon des militants musulmans. «C'est probablement la pire attaque génocidaire de l'armée birmane de ces 30 dernières années», a déclaré à BuzzFeed News Malik Mujahid, de la Force opérationnelle américaine pour la Birmanie, à propos des dernières violences.

    Pour Ro Nay San Lwin, un militant rohingya, la dernière flambée de violence avait été utilisée par les militaires birmanes comme une «excuse» pour tuer «indistinctement.»

    «Beaucoup d'enfants ont été tués,» a-t-il déclaré à BuzzFeed News depuis Genève, «beaucoup de femmes, de personnes âgées. Ils tuent à l'aveugle.»

    : «La situation est vraiment terrifiante, les maisons brûlent, les gens fuient leurs maisons, des parents et leurs enfants ont été séparés, certains sont perdus, d'autres sont morts», déclare à Reuters Abdullah, un Rohingya de 25 ans.

    En réponse, un porte-parole de l'armée birmane affirme que les rebelles rohingya ont mis eux-mêmes le feu à leurs maisons. Mais comme l'a souligné Ro Nay San Lwin: «Pourquoi feraient-ils ça?»

    Les organisations internationales ont condamné ces violences.

    Le porte-parole de l'ONU, Stéphane Dujarric, a déclaré mercredi que le secrétaire général António Guterres était profondément préoccupé par le sort des civils et qu'il avait condamné les violences.

    «Cela ne doit pas conduire à des représailles militaires féroces de l'année dernière, où en réponse à une attaque similaire, les forces de sécurité avaient torturé, tué et violé les Rohingya et incendié des villages entiers», a également averti Amnesty International dans une déclaration ce week-end.

    Des positions que Ro Nay San Lwin déplore: «La communauté internationale a dit qu'elle allait faire quelque chose, mais il ne s'est rien passé. Il n'y a aucune réaction et la situation empire.»

    Beaucoup s'attendent à ce que la situation s'envenime.

    Une enquête de l'ONU datant du début de l'année a découvert des abus systématiques contre la communauté rohingya, et des éléments indiquants des crimes contre l'humanité. «Ils subissent un lent génocide», affirme Malik Mujahid.

    «La politique du gouvernement, c'est l'élimination totale de la population rohingya», avance Ro Nay San Lwin. «Ils n'acceptent pas qu'ils fassent partie de la Birmanie.»

    En Asie du Sud-Est, la plupart des États ont également refusé d'accorder aux Rohingya le statut de réfugiés. Le gouvernement indien a déclaré plus tôt ce mois-ci qu'il allait tenter d'expulser environ 40 000 Rohingya actuellement réfugiés dans le pays, en dépit d'un tollé international. En 2015, les autorités malaisiennes avaient également essayé de se débarrasser des Rohingya.

    «Nous n'avons nulle part où aller,» résume Ro Nay San Lwin.

    Ce post a été traduit de l'anglais.