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    Dans les coulisses du business de la famille la plus célèbre d’Instagram

    Mise en scène par sa mère, Mila Stauffer, 3 ans, fait des pubs pour Duracell pour ses 3 millions de followers. Une stratégie qui rapporte à la famille des centaines de milliers de dollars.

    Dimanche 20 janvier, Katie Stauffer a posté une photo de sa fille, Mila, près de la statue de Marilyn Monroe sur Instagram. On peut voir que la photo a été prise à l'hôtel Four Seasons de Beverly Hills, à Los Angeles. L'enfant de 3 ans imite Marilyn en soulevant sa robe avec un regard en coin. Trente minutes plus tard, la photo avait plus de 75 000 Likes et 500 commentaires.

    Sous la photo, quelqu'un a commenté : «Pourriez-vous venir à Los Angeles début mars ? J'y serai, et j'adorerais vous rencontrer !»

    «Mila, tu es bien plus sexy, ajoute une femme. Tu es parfaite, bébé.»

    Mila et sa sœur jumelle, Emma, grandissent en direct sur le compte Instagram de leur mère. «Bienvenues au monde à mes deux mignonnes petits filles qui n'ont pas encore de nom», indiquait la légende d'une photo de 2014, où on peut voir les deux nouveau-nées, aux visages bouffis et aux yeux fermés. L'année suivante, leur mère postait la vidéo de leur arrivée au monde par césarienne sur son compte YouTube.

    Aujourd'hui, Katie produit du contenu pour plus de 3,7 millions de fans qui la suivent sur Instagram, sans compter ses nombreux abonnés sur YouTube et Facebook. Tous adorent sa fille Mila. (Emma, la sœur jumelle de Mila, apparaît également, mais elle n'aime pas les photos.) L'enfant est surtout connue pour ses vidéos impertinentes où elle imite de manière caricaturale les adultes, que Katie filme avec son mari, Charley, et leur fille de 15 ans, Kaitlin. Dans les scripts, Mila incarne une enfant précoce avec un avis sur tout, du Père Noël («ce type n'a pas de vie») au fait de faire du sport («barbant»).

    La célébrité de Mila a des implications sur sa vie quotidienne. Des personnes l'arrêtent pour prendre des photos avec elle. C'est quelque chose qui arrive de manière si fréquente qu'elle va spontanément vers les gens avant qu'ils ne viennent vers elle.

    «Quand nous sommes au magasin, elle va parfois voir quelqu'un pour lui demander «Tu veux prendre une photo avec moi ?» explique Kaitlin à BuzzFeed News.

    Des fans dans le monde entier

    Mila a des fans dans le monde entier. Chaque jour, en Inde, en Chine, au Brésil et partout ailleurs, des personnes laissent des commentaires sous ses vidéos. Katie raconte qu'un homme l'a arrêtée dans la rue et a fait un bisou sur la joue de Mila, sans demander la permission. La marque de Mila (et les contenus sponsorisés qu'elle vend) marche tellement bien que Katie a quitté son emploi d'agente fiduciaire en septembre, et s'occupe maintenant à plein temps du compte Instagram de sa fille.

    Katie est l'une des nombreuses mères qui sont parvenues à faire de leur famille en une véritable entreprise (avec 3,7 millions de followers, c'est l'une des plus célèbres). Prenez Katie Ryan, dont la fille, Ava, a diverti les foules depuis son retentissant succès sur Vine, et fait désormais des publicités pour Walmart. Naomi Davis, une mère de trois enfants qui vit à New York, est connue par son demi-million de followers sous le nom de «Taza» et a travaillé avec des entreprises comme Lego et Apple. Amber Fillerup Clark, mère de deux enfants, est la seule à s'approcher du succès de Katie sur Instagram avec 1,3 million de fans. Elle a fait des publicités pour Old Navy et Amazon.

    La publicité sur Instagram est une devenue une source importante de revenus pour les comptes influents comme pour les entreprises. Mais c'est encore la loi de la jungle qui domine. Les directives de la Federal Trade Commission, l'agence de la concurrence américaine, sont peu appliquées sur Instagram et sur les autres plateformes de réseaux sociaux et il est souvent difficile pour les utilisateurs de distinguer les articles authentiques des contenus sponsorisés.

    Kristen Strader, coordinatrice de campagne pour l'ONG Public Citizen's Commercial Alert, a déclaré à BuzzFeed News qu'il «pouvait être impossible pour les consommateurs de déterminer ce qui relève d'une publicité et ce qui est simplement un influenceur qui partage un moment authentique de sa vie.»

    «Ça devient même encore plus complexe quand les influenceurs se servent de leurs enfants pour promouvoir des contenus rémunérés», ajoute-t-elle.

    Des entreprises prêtes à payer des milliers de dollars pour de la publicité

    Quand j'ai demandé à Katie Stauffer combien les entreprises la payaient en moyenne pour un article sponsorisé, elle a refusé de répondre. Bien que Katie Stauffer perçoive un salaire pour son travail, son mari Charley a déclaré qu'ils étaient en train de créer un fonds de placement pour les enfants.

    Pour Evan Asano, fondateur et PDG de l'agence de marketing d'influence Mediakix, les entreprises sont prêtes à payer des milliers de dollars pour des articles sur les comptes comme celui de Katie.

    «Les Instagrammeurs de son importance peuvent être rémunérés entre 10 000 et 20 000 dollars (8 000 et 12 000 euros) par publication, en fonction de la marque et de la campagne ou du partenariat, déclare M. Asano par courriel. Pour les publications vidéo, les tarifs sont plus élevés, mais varient en fonction des demandes de la marque.»

    «Les Instagrammeurs les plus célèbres, avec des millions de followers, peuvent obtenir 500 000 dollars (400 000 euros) ou plus de revenus annuels pour les partenariats avec les marques», ajoute-t-il.

    En novembre, Katie Stauffer a déclaré à une chaîne locale de Fox qu'elle gagnait plus d'argent que son mari, qui est docteur. Elle a également fait visiter sa maison, en montrant les cadeaux que sa famille avait reçus, comme des tapis, un canapé, une table et une télévision.

    Le mois dernier, j'ai rencontré la famille Stauffer dans leur maison, sur une rue calme en Arizona, en espérant voir à quoi ressemblait réellement la gestion d'un empire commercial sur Instagram centré sur une enfant en bas âge. À mon arrivée, Mila et sa sœur jumelle, Emma, portaient toutes deux un pull blanc et un jean, leurs cheveux étaient coiffés comme à leur habitude : un chignon pour Emma, et deux pour Mila.

    Avant la publication de cet article, Katie Stauffer a publié une story sur Instagram à ses millions de followers, en taguant mon pseudonyme sur Instagram, où elle déclarait que j'avais réalisé cet entretien avec de mauvaises intentions. Je n'avais fait aucune promesse concernant cet article.

    video-player.buzzfeed.com

    J'ai parlé avec Katie Stauffer et sa fille Kaitlin assise sur le canapé de leur salon. Charley, le mari, était assis en face de nous. Les jumelles ont fouillé mon sac à main, malgré les protestations de leurs parents, se sont assises sur les genoux de leur père et se sont baladées dans la pièce pendant notre discussion.

    «Emma est un peu difficile quand il s'agit de prendre des photos»

    Katie a déclaré que, sur une journée ordinaire, elle prenait un certain nombre de photos pour remplir ses obligations auprès de ses sponsors. Elle devait également prendre des photos «normales» pour ne pas publier que de la publicité.

    Les séances de photo ne prennent jamais plus de 15 minutes, et certaines durent seulement 5 minutes. «Cela dépend de la volonté [des jumelles] à coopérer», explique-t-elle. Parfois, il faut les motiver pour les séances de photo. «Il arrive vraiment qu'on leur dise "Allez, si vous faites ça, on pourra aller prendre une glace", ajoute-t-elle. Car Emma est un peu difficile quand il s'agit de prendre des photos et tout ça. Elle ne veut tout simplement pas.»

    La célébrité sur Instagram peut sembler attirante, mais Katie Stauffer explique que c'est une grande source de stress. Elle a un peu de marge de manœuvre, car ses stars sont des enfants. «Je dois prendre deux photos aujourd'hui et les envoyer à [des publicitaires], déclare-t-elle. Je ne les ai pas prises, et il faut que je les envoie d'ici la fin de la journée, et ça me stresse vraiment.»

    Les vidéos de Mila sont de loin les plus rentables. Après que quelques-unes d'entre elles sont devenues virales, la célébrité et le nombre de followers de la famille Stauffer ont explosé, et Katie considère que ça apporte de la joie à beaucoup de monde. Une femme lui a raconté avoir parlé de ses vidéos à son thérapeute, et un inconnu a envoyé un message à Katie sur Facebook, dans lequel il expliquait que les vidéos de Mila l'avaient empêché de se suicider.

    Des vidéos qui peuvent prendre jusqu'à trois jours à réaliser

    Les vidéos peuvent prendre jusqu'à trois jours à réaliser, pendant lesquels Kaitlin Stauffer apprend à Mila les phrases qu'elle devra répéter. La famille arrête de filmer quand Mila montre qu'elle n'en peut plus. Katie Stauffer explique qu'elle fait attention à ne pas trop pousser Mila à faire des vidéos quand elle ne le souhaite pas.

    «Car quand elle les fait, elle aime ça», déclare-t-elle.

    Dans une vidéo, Mila s'énerve à propos d'un «rencart» qu'elle a eu avec un garçon appelé Sawyer, plus intéressé par le football que par elle. «Coiffure et manucure... pour rien», râle-t-elle.

    «Que font ces gens ? demande-t-elle dans une autre vidéo sur les salles de sport. Des gens qui courent et ne vont nulle part !»

    Dans une autre, elle parle de son anniversaire comme d'un «fiasco», parce qu'on lui a offert une brosse à dents. (La vidéo était sponsorisée par l'entreprise de la brosse à dents, et comprenait le hashtag «#ad.») «J'aimerais que ce soit une baguette magique», dit-elle de la brosse à dents. «Ça, ce serait cool.»

    En personne, Mila est un enfant très normal. Elle n'a pas eu de répliques impertinentes en parlant avec moi. En fait, elle babillait comme n'importe quel enfant de deux trois ans, et ses phrases n'avaient guère de sens. «Tu es gentille», m'a dit Mila, à la fois sérieuse et expansive, avec un grand sourire. «Ravie de te rencontrer.»

    Même si les mots dans les vidéos ne sont pas ceux de Mila, Katie Stauffer explique qu'ils ont changé la façon de parler de l'enfant (Katie insiste sur le fait que sa fille est naturellement impertinente), et que Mila répète des phrases des vidéos «tout le temps.»

    Elle raconte que la veille, alors que la famille se rendait à l'aéroport, elle répétait une phrase familière qu'elle utilise dans une vidéo publicitaire pour Duracell, avant que n'apparaisse une image de Salt Bae. Cette publication a été taguée #ad.

    L'attention que reçoivent ses filles est «amusante»

    Pour Katie Stauffer, l'attention que reçoivent ses filles est «amusante». Ce n'est pas quelque chose d'écrasant, et elle assure qu'elle n'a jamais reçu de commentaires qui l'auraient inquiétée. Des personnes ont commenté qu'elles allaient enlever Mila, mais Katie Stauffer raconte avoir dit la même chose à une amie qui venait d'accoucher.

    «Même les commentaires sur mes pages écrits par des hommes, comme "J'adore Mila", je crois que, dans d'autres cultures, c'est simplement quelque chose de normal, aussi étrange que cela puisse paraître, déclare-t-elle. Je ne sais pas. Je ne peux même pas l'expliquer sans avoir moi-même l'air bizarre.»

    Elle a donné une explication similaire pour l'homme qui, à New York, les avait arrêtées et avait, sans permission, fait un bisou sur la joue à Mila. «Je ne ferais jamais ça à un enfant. Mais ils étaient, je crois, Français, et là bas c'est normal. C'est comme cela qu'ils se disent bonjour et tout ça», explique-t-elle.

    En novembre, Katie Stauffer a organisé une petite rencontre entre les jumelles et quelques fans dans un petit café de Beverly Hills. Un service de sécurité était présent, a-t-elle ajouté. «C'était vraiment super. Je veux dire, je suppose qu'on aurait pu avoir un meurtrier, je ne sais pas, mais on a eu de la chance», raconte-t-elle. Rien n'a mis Katie mal à l'aise durant cet événement, où le public était selon elle constitué de «mères avec leurs filles» et de «filles avec leurs petits-amis.»

    «Les gens ont dit : "Oh, je trouve ça bizarre que des hommes aient voulu être pris en photo avec elle." Et bien, 99 % des hommes qui voulaient une photo avec elle, d'une part avait une petite amie, et d'autre part, venait d'un pays où c'est comme ça qu'on fait. C'est leur culture», déclare-t-elle.

    Katie prend cependant des mesures de précaution, comme attendre que sa famille et elle soient parties d'un lieu pour en identifier l'emplacement sur Instagram. Elle a également déclaré vouloir faire en sorte que son adresse ne soit pas facile à trouver sur Internet.

    Des vidéos pour Duracell, Kidfresh Foods, The Honest Company...

    La maman profite d'Instagram depuis des années. Il y a environ six ans, elle a commencé à partager des photos de ses trois enfants plus âgés, Kaitlin, Finn et Charles. Ses photos de Finn sont devenues populaires, et des entreprises ont commencé à lui envoyer des cadeaux et des accessoires, qu'elle publiait ensuite sur le compte. (Maintenant, «ils voudraient être aussi célèbres que Mila», explique Katie des autres enfants, en riant.)

    Finalement, d'autres personnes influentes sur Instagram lui ont expliqué qu'elle «gâchait tout» en ne faisant pas payer les entreprises pour les publicités. Elle a donc commencé à le faire, en travaillant avec des marques comme Duracell, The Honest Company et Volvo.

    Katie a déclaré qu'elle allait probablement arrêter de faire des vidéos pour les marques, comme celle pour Duracell, «car ça nuit tout simplement aux vidéos de Mila. On ne veut pas qu'il y ait tellement de pub», déclare-t-elle. «Franchement, si on pouvait faire une vidéo normale de Mila avec une entreprise, où elle avait simplement besoin de tenir le produit en main sans en parler, on le ferait peut-être.»

    Mi-janvier, Mila apparaissait cependant dans une autre publicité vidéo, cette fois pour Kidfresh Foods.

    Parfois, les publicités peuvent parler de sujets assez intimes, comme celle pour The Honest Company, dans laquelle Katie parle de comment ses deux filles ont appris à être propre. Les deux enfants posent en couches devant la caméra.

    «Je n'ai pas mis de photos d'elles nues»

    Lorsqu'on lui demande si elle est inquiète du fait que les jumelles pourraient être embarrassées par ce genre de publicités quand elles seront plus âgées, Katie répond qu'elle pense qu'elles s'en ficheront.

    «Je n'ai pas mis de photos d'elles nues», explique-t-elle. «Elles ont toujours des vêtements. Elles ont une couche avec des licornes dessus.» Katie acceptait auparavant les cadeaux, mais son manager lui a conseillé de ne pas publier sur un produit sans être rémunérée.

    «Target m'a envoyé des packs. Et bien, j'adore Target. J'adorerais travailler avec eux. Donc, [mon manager] m'a dit : ne publie pas trop de trucs gratuits, comme ce qu'ils t'ont envoyé, parce que c'est ce qu'ils essayent de te faire faire», explique-t-elle. Selon les directives de la FTC américaine, les publications des influenceurs montrant des marchandises offertes sont l'équivalent de publicités, et doivent être indiquées comme telles.

    Katie Stauffer adore les cadeaux : «C'est une chose amusante à faire en famille. Honnêtement, l'argent et tout, c'est fun, explique la mère. Mais pour moi, le plus fun, c'est que mon manager se moque toujours de moi à ce sujet, le plus fun, ce sont les trucs gratuits.»

    Réactions hostiles

    Mais, à mesure que croît son entreprise, se développent des réactions hostiles. Des personnes l'ont accusée de profiter de façon injuste de ses enfants, et de forcer Mila à faire des vidéos. Son mari Charley a mentionné le fait que Mila demandait régulièrement de faire des vidéos quand il rentrait du travail.

    Katie déclare trouver injuste que des gens l'accuse de profiter de son compte Instagram. Elle déclare avoir commencé à recevoir des commentaires négatifs quand son nombre de followers est devenu très conséquent.

    «La plupart des gens ont un travail, et celui-ci, c'est le mien. Et, [pour certaines personnes], ce n'est pas acceptable, et ça c'est un peu nul», explique-t-elle.

    Elle a ajouté que ces personnes imaginaient qu'elle et son mari «gagnaient de l'argent sur le dos de [leurs] enfants». Mais c'est pour eux», explique-t-elle. À ses yeux, Mila est juste comme une enfant actrice.

    «Les enfants jouent et gagnent de l'argent, qu'y a-t-il de différent ?» demande-t-elle. «Ils pensent simplement que Charley et moi on s'achète des palaces et des bateaux et tout ça avec tout cet argent.»

    Anne Henry, cofondatrice de la Fondation BizParentz, une organisation caritative qui défend les enfants qui travaillent dans le secteur du divertissement, a déclaré à BuzzFeed News que les parents des enfants personnes influentes sur les réseaux sociaux travaillent dans un secteur sans législation.

    «Ils ne sont pas réglementés», explique-t-elle, après avoir énuméré une liste de protections concernant les enfants acteurs en Californie, comme des restrictions sur les heures de travail et le montant qui doit leur revenir. «À cause de ça, les parents partent dans tous les sens.»

    Négociations pour une émission télévisée

    Et après ? À une foire au jouet à New York, en février, les jumelles rencontreront à nouveau leur public. «Venez voir Katie, Mila et Emma Stauffer, la famille la plus influente sur Instagram», proclame une invitation envoyée par un publicitaire à BuzzFeed News ce mercredi.

    De plus les jumelles commenceront à aller en maternelle cette année. Katie pense que leurs camarades de classe ne les reconnaîtront sans doute pas, mais peut-être les parents les reconnaîtront. De son côté, la famille regarde du côté d'Hollywood.

    «Il y a des négociations avec de vraies entreprises pour une émission télévisée où Kaitlin pourrait écrire et jouer, et ce serait une sitcom», explique Katie. Le mois dernier, Mila était dans l'émission de Jesse Watters sur Fox News pour parler de sa vidéo virale sur le Père Noël.

    «Alors, tu es une grande star d'Internet, Mila. Qu'est-ce que ça fait d'être célèbre ?» a demandé Jesse Waters à Mila, assise sur les genoux de sa mère. «Euh, je ne sais pas», a-t-elle répondu.

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    Ce post a été traduit de l'anglais.