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    Rama Yade à BuzzFeed: «Ici non plus, on ne peut pas critiquer Emmanuel Macron?»

    Rama Yade a répondu aux questions de BuzzFeed. Elle qui se veut la «candidate anti-Le Pen», refuse de laisser au FN le monopole des «oubliés». Et ne cache pas l'agacement que provoque chez elle le deuxième favori de la présidentielle: Emmanuel Macron.

    Rama Yade est d'humeur maussade quand elle arrive à BuzzFeed. Les chiffres du Conseil constitutionnel viennent de tomber: l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy n'a que 217 parrainages. Et plus que trois jours pour arriver à 500. Il est loin le temps où elle était la personnalité politique préférée des Français. Redevenue combative, Rama Yade juge que Marine Le Pen «peut tout à fait demain être présidente».

    Que vous inspire la mise en examen de François Fillon?

    C’est une première dans l’histoire de la Vème République. C’est déroutant, triste aussi. C’est une campagne qui ne laisse pas de place au débat public, aux propositions. 2017 est pourtant un moment majeur pour le pays. Cette chronique judiciaire vampirise tout. C’est une sorte de tragédie pour la droite. Même si on peut se poser des questions sur la sévérité soudaine de la justice, il n’empêche que ces affaires existent et que l’opprobre est là, et je le regrette profondément.

    Depuis un an, vous menez une campagne discrète dans les milieux ruraux, dans les banlieues. Que vous demandent les Français pour 2017?

    Ce qui frappe c’est que ce n’est même plus de la défiance ou de la colère, c’est de l’indifférence. Beaucoup de Français n’attendent plus rien du politique. Il y a une volonté de tout recommencer, de tout raser, de tout faire basculer. Dans les banlieues, l’abstention n’aura jamais été aussi forte. Dans les territoires ruraux, on parle souvent d’un vote FN important, il l’est, et je pense qu’il est encore sous-estimé. Ces deux territoires-là, quartiers populaires et territoires ruraux, qu’on essaie d’opposer systématiquement pour diviser encore le pays, utilisent les mêmes mots pour exprimer leurs maux. On parle de désertification, de mépris, d’abandon. De fait, je considère que seul un projet de réconciliation nationale peut nous sortir de cette stratégie du pompier pyromane qui vise à diviser les territoires.

    Vous parlez d’un sentiment d’abandon dans les banlieues, comment expliquez-vous que la classe politique ait été aussi silencieuse sur les affaires Traoré et Théo ?

    Parce qu’il ne fait pas bon parler des quartiers populaires. Je pense qu’ils se trompent. Ceux qui y habitent sont des Français donc autant se préoccuper de leurs problèmes, et autant que eux ne soient pas un problème, notamment en terme de sécurité nationale puisqu’on a beaucoup parlé de l’influence des extrémistes dans ces territoires-là. Je pense que les responsables politiques de droite ou de gauche pensent les quartiers populaires en terme de camps qu’il faudrait choisir: les quartiers populaires on est pour ou on est contre. Mais la question n’est pas là.

    Et sur les affaires Traoré et Théo ?

    En matière de violences policières il est clair qu’on doit lutter contre ce phénomène plutôt qu’être dans le déni. D’abord la police elle-même. Moi je suis fière quand j’entends des policiers se désolidariser de certaines violences policières parce que c’est une manière aussi de démontrer que ce n’est pas la police en général qui doit être mise en cause. La police a tout intérêt à nettoyer devant sa porte pour éviter cet amalgame. Deuxièmement, je pense qu’il est très important que les policiers soient protégés des agressions qu’ils peuvent subir, et le récépissé permet cela. Il est important que les habitants ne fassent pas l’objet de bavures. C’est la raison pour laquelle je plaide pour le rétablissement de la police de proximité.

    «Il y a dans certains quartiers un sentiment d’apartheid, de ghettoïsation sociale et économique qui relève d’un choix politique.»

    Vous, présidente vous vous seriez rendue auprès des familles d’Adama et Théo ?

    Au-delà de cette image, j’aurais attendu du président de la République qu’il agisse. On ne lui demande pas seulement d’être un roi-compassion, on lui demande d’agir. Pourquoi, alors que c’était dans son programme, François Hollande n’a-t-il pas rétabli la police de proximité? Plutôt que d’aller faire preuve de compassion, ce qui est facile, ce qu’on aurait attendu du président c’est qu’il tienne ses promesses et qu’il soit dans l’action. Voilà ce que moi j’aurais fait, et certainement pas me contenter d’un geste de compassion sous le regard des caméras.

    Madame Figaro vous décrit comme la «Beyoncé de la politique», l’émission Punchline, sur C8, vous présente comme «l’égérie des mamas africaines» : est-ce qu’aujourd’hui il y a un racisme systémique en France, qu’on s’appelle Rama Yade ou Adama Traoré?

    Ces phrases-là sont un peu cheap mais ça n’en fait pas pour autant des expressions racistes. Ne galvaudons pas un mot précieux qui doit être utilisé à bon escient. C’est une sorte d’essentialisation des êtres avant même un jugement sur leurs actes, ce sur quoi j’attends d’être jugée. Tout le reste n’est que superficiel et fait partie du show médiatique, je m’y attarde certainement pas.

    Donc pour vous il n’y a pas de problème de racisme en France?

    Les élites sont profondément conservatrices, donc remplies de préjugés et absolument fermées, c’est sûr. Les Français, non. Je n’ai pas ce sentiment auprès de la population française dont j’estime que ce n’est pas un peuple plus raciste qu’un autre, au contraire. J’ai le souvenir qu’il n’y a même pas 40 ans les Afro-Américains venaient se réfugier à Paris parce qu’ils ne pouvaient pas emprunter les mêmes bus que les autres Américains. Depuis c’est vrai qu’on a reculé. Il y a dans certains quartiers un sentiment d’apartheid, de ghettoïsation sociale et économique qui relève d’un choix politique.

    Il y a huit ans vous étiez la personnalité politique préférée des Français, aujourd’hui qu’est-ce qu’il reste de cette popularité?

    À l’époque j’étais au gouvernement, les Français pouvaient voir ce que je faisais. Quand on est dans l’opposition c’est beaucoup moins simple parce qu’on est dans le discours davantage que dans l’action. Cette reconnaissance de mes actions, on continue de m’en parler, et c’est appréciable. À l’époque ce n’était pas forcément simple, j’étais souvent qualifiée de dissidente dans ce gouvernement, de rebelle ou que sais-je encore là où il n’y avait que des convictions sur des sujets aussi fondamentaux que la question des droits de l’Homme. Je pense que les Français ont apprécié cela.

    On se souvient de vous notamment pour votre opposition à la venue du colonel Kadhafi en France. Comment avez-vous reçu les informations de Mediapart sur le présumé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy?

    J’ai été étonnée comme tout le monde. Ce sont des choses qu’on découvre, selon ce récit fait par Mediapart. Maintenant toutes ces enquêtes judiciaires sont ouvertes, elles ne sont pas encore allées à leur terme, donc attention de ne pas condamner avant la justice. On en a vu beaucoup passer sous les fourches caudines d’accusations publiques, et à terme recevoir des non-lieux. Donc je ne veux pas m’associer à ce type de jugements définitifs.

    Est-ce que finalement avoir été ministre de Nicolas Sarkozy n’est pas ce qui vous ralentit aujourd’hui?

    J’ai beaucoup apprécié d’être membre du gouvernement. Même si je n’étais pas toujours d’accord, et je l’ai exprimé dès mon premier discours, avant même d’être ministre, ils le savaient tous. J’étais très fière de faire partie du gouvernement. Le faire à partir du Quai d’Orsay a été un grand honneur. Je ne regrette pas. Je regrette que tous les engagements n’aient pas été tenus. Je regrette qu’on n’ait pas enrayé la progression du chômage.

    Il y a 300 propositions dans votre programme, pourtant rien sur l’état d’urgence. Pourquoi? Est-ce que l’état d’urgence est destiné à être permanent?

    Il ne faudrait pas sinon ce serait renoncer à l’État de droit. Je comprends l’effroi qui a saisi les Français. Nous sommes tous durablement choqués par ces attentats. Mais nous devons aussi apprendre la résilience. Le ministère de la Défense a été saigné à blanc, et là je pense qu’il est important, et c’est ce que je propose, que l’Europe paie. Nous sommes les plus présents, il faut que l’Europe contribue à notre armée.

    Donc il est impossible de prévoir la fin de l’état d’urgence?

    Ce que je veux c’est qu’on soit efficace. Je pense que l’état d’urgence devrait avoir une fin. De Guantanamo à aujourd’hui, ce n’est pas en renonçant aux libertés fondamentales qu’on règle les problèmes de terrorisme.

    «Ce n’est pas en étant une carriériste comme les autres que je vais convaincre. C’est en étant en dehors de ce champ politique, d’un pied du moins, pour proposer d’autres choix. »

    Vous vous présentez comme une candidate différente, moderne. Pourtant dans votre projet on ne parle pas du tout de la PMA. Pourquoi?

    Toutes les questions qui relèvent de l’éthique ne peuvent faire l’objet d’un traitement général. Je pars d’un principe clair: le droit de l’enfant avant le droit à l’enfant. À partir de là, pas de principe général.

    Mais est-ce qu’une femme célibataire ou un couple de femmes peuvent recourir à la PMA?

    Ce que je veux c’est que les droits de l’enfant soient respectés. Il devra pouvoir connaître sa filiation, sa culture. Il doit pouvoir trouver une réponse à ces questions. Cela relève du droit des enfants. Ce n’est pas parce qu’on veut un enfant qu’on a tous les droits. Il y a des règles. C’est pas oui ou non, ça dépend. Je ne veux pas de la marchandisation, qu’on arrive à ce qu’une logique monétaire l’emporte sur tout le reste. Je ne ferme aucune porte, mais je n’en ouvre pas non plus.

    Vous avez déclaré votre candidature le 21 avril, une date symbolique. Pourtant depuis quelques semaines vous vous attaquez beaucoup à Emmanuel Macron. Qui est l’adversaire de Rama Yade aujourd’hui? Le FN ou Macron?

    Je n’ai pas d’ennemi. Je me qualifie de candidate anti-Le Pen. Cette date a été choisie en référence au 21 avril 2002, ce séisme qui n’a connu que des répliques depuis 15 ans. Je ne veux pas que Marine Le Pen s’appuie sur son genre pour revendiquer une modernité quelconque. Elle peut tout à fait demain être présidente, et je ne le souhaite pas. Emmanuel Macron n’est pas non plus une solution. Si les favoris ne correspondent pas à l’idée que je me fais du pays, j’ai le droit de l’exprimer où ici non plus on ne peut pas critiquer Emmanuel Macron?

    Vous avez déclaré être «en mission», qu’est-ce que ça veut dire?

    Ça veut dire que je ne suis pas dans une carrière politique. Je n’en vis pas. Plusieurs fois j’aurais pu accepter des mandats qu’on me proposait, mais ce n’est pas le choix que j’ai fait. Le choix de la carrière suppose beaucoup de renoncements, et je n’y étais pas disposée. C’est peut-être un signe de faiblesse. Ce n’est pas en étant une carriériste comme les autres que je vais convaincre. C’est en étant en dehors de ce champ politique, d’un pied du moins, pour être audible et proposer d’autres choix. Ceux qui ont été à l’origine des problèmes ne peuvent pas faire partie de la solution.

    Nicolas Dupont-Aignan vous verrait bien ministre des Affaires Étrangères. Intéressée?

    Malheureusement pour lui je ne suis pas sûr qu’il soit président. C’est quelqu’un de bien, que j’apprécie et que je respecte. Mais je ne suis pas dans l’objectif de chercher un poste, sinon il aurait suffi de faire une primaire et de faire 2%. C’était beaucoup moins compliqué que de s’engager directement au premier tour. Mon but c’est de faire monter dans les assemblées locales de nouveaux talents. Nous allons présenter 577 candidats aux élections législatives auxquels La France qui ose s’associe. C’est un cheminement qui ne se limite pas à la présidentielle mais qui se poursuit pour les cinq ans qui viennent.

    VIDÉO - Rama Yade répond à ses trolls

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