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    Pour les Palestiniens de Jérusalem, la décision de Trump ne changera rien

    Dans la ville, où vivent 330 000 Palestiniens, la décision du président américain intervient dans un climat déjà tendu.

    JÉRUSALEM — Osama Abu Khalaf ne se soucie guère de ce que le président Donald Trump déclare à propos du statut de sa ville, la ville divisée et contestée de Jérusalem. «Ça ne nous affecte pas, nous, les habitants de Jérusalem-Est», expliquait mardi un employé de bureau palestinien de 27 ans. Il fait partie des 330 000 Palestiniens qui vivent dans cette ville, et il s'inquiète davantage du coût de la vie ou de son statut de résident que du président américain. Osama Abu Khalaf est né et a vécu toute sa vie dans la ville sainte.

    «Nous sommes sous occupation israélienne depuis 50 ans», dit Osama, faisant référence à l'annexion de la partie Est de Jérusalem, ainsi qu'à la prise de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, suite à la guerre des Six-Jours, en 1967. La plupart de la communauté internationale, y compris les États-Unis jusqu'à présent, a rejeté les revendications d'Israël sur le territoire.

    Mais Donald Trump a reconnu Jérusalem comme la capitale d'Israël lors d'un discours donné mercredi 6 décembre, qui laisse planer le doute sur les frontières finales de la ville. Il a ainsi donné l'ordre au département d'État (l'équivalent de notre ministère des Affaires étrangères) d'entamer les procédures pour déménager l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.

    «J'habite en Israël. Je travaille ici. Je n'ai pas d'autre pays… il n'y a aucun parti politique palestinien qui me représente, explique Osama. Je veux juste disposer de mes droits.»

    Revirement politique sans précédent

    La population palestinienne se retrouve de nouveau confrontée au statut ambigu de la ville. Dans un discours fou, qui n'était pas sans rappeler les heures de gloire télévisuelles du président, Donald Trump a dévoilé sa décision très attendue. Mais depuis le début des années 1990, les Palestiniens vivent avec la conviction que Jérusalem-Est deviendra la capitale de leur futur État.

    Beaucoup de Palestiniens de Jérusalem en ont assez de l'occupation israélienne et de leurs chefs qu'ils considèrent comme corrompus et vieillissants. Ils ont le sentiment d'être abandonnés par les pays arabes, les États-Unis et la communauté internationale. Mais tout ce que Donald Trump pourra faire ne changera pas la réalité de leur situation. Ils continueront de vivre dans le climat anxiogène d'une ville divisée, luttant pour s'en sortir au milieu de tous les politiciens qui essayent de parler en leur nom.

    Ce revirement politique sans précédent, qui a été largement salué et approuvé aussi bien par les Israéliens que par le gouvernement d'extrême droite, a mis le Moyen-Orient, déjà explosif, en état d'alerte. Les chefs palestiniens, arabes et musulmans menacent de mettre en place des sanctions diplomatiques, notamment en mettant un terme au processus de paix. Les chefs palestiniens ont déjà appelé à trois «jours de rage» avec des mouvements de protestation dans les rues si Donald Trump ne revient pas sur sa déclaration. Lors de petites manifestations à Gaza mercredi matin, des palestiniens ont brûlé des drapeaux américains, et beaucoup craignent que les griefs déjà nombreux dans cette région puissent se cristalliser autour de ce problème. Depuis 2015, Israël lutte contre des vagues d'attaques menées par des Palestiniens solitaires, et les tensions à Jérusalem ont souvent conduit à des violences. Le département d'État américain a averti les voyageurs et les diplomates américains de risques accrus dans les jours à venir.

    C'est le manque d'évolution qui a conduit Osama à demander la citoyenneté israélienne, une démarche taboue et controversée au sein de la société palestinienne. Pourtant, marginalisés et frustrés, un nombre croissant de résidents de Jérusalem-Est y ont recours. C'est souvent la moins pire des solutions qui s'offrent à eux.

    Israël a rejeté sa demande (comme c'est de plus en plus souvent le cas pour beaucoup), au prétexte qu'il ne répond pas aux critères de la loi. Cependant, Osama a un avocat et persiste, car peu importe à qui appartient la capitale, dit-il, il est né ici et compte bien y rester.

    Ce sentiment est largement partagé, bien qu'il ne soit pas relayé dans les médias. «À nos yeux palestiniens, bien sûr que Jérusalem est notre capitale», avance Yacout Alqam. À 23 ans, cette femme menue est institutrice dans le camp de réfugiés de Chouafat. «Mais comme vous le voyez, Israël est partout.»

    L'annonce de Donald Trump «ne présente rien de nouveau, on s'y attendait», dit-elle en haussant les épaules, exaspérée, alors qu'elle est sur le point de prendre le bus pour rentrer du travail. «Si Donald Trump déplaçait l'ambassade, ce serait évidemment le chaos et il y aurait des protestations contre lui. Les gens n'apprécieraient pas. Mais s'il y tient, il le fera... Et nous resterons ici jusqu'à notre mort. Nous ne pouvons pas quitter Jérusalem.»

    La décision de Trump est «une provocation»

    À l'heure actuelle, les palestiniens de Jérusalem-Est, qui représentent 37% des habitants de la ville, ne sont pas des citoyens israéliens. Ils n'ont pas de passeport et ne peuvent pas voter aux élections nationales. Ils sont des résidents permanents, ce qui leur donne d'autres avantages comme l'accès à l'éducation et aux soins israéliens. Bien qu'ils puissent se déplacer librement en Israël, les habitants de l'Est doivent prouver qu'ils vivent là de façon permanente ou ils risquent de se voir retirer leur statut de résident. Environ 80 % d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage est élevé et la qualité des écoles et des autres services municipaux est basse.

    Les habitants se sentent ainsi pressés de tous les côtés, en particulier dans la vieille ville, bondée, fortement contestée et conservatrice. Les soldats israéliens patrouillent les rues. Beaucoup de Palestiniens subissent des pressions sociales qui les poussent à rester. C'est cette réalité qui donne à ceux qui se sont confiés à BuzzFeed News la certitude que même si Donald Trump change le statut de la ville, la vie de facto sur le terrain ne changera pas.

    «Le gouvernement israélien essaye de rayer la culture palestinienne de la ville», explique Izzeldin Bukhari, un militant palestinien de 32 ans et chef dans la vieille ville. L'annonce de Donald Trump ne serait rien de plus que «la cerise sur le gâteau» ajoute-t-il. «Ce geste ne va pas amener la paix, souligne Izzeldin. L'idée est plutôt d'attiser les tensions, c'est une provocation.»

    Chefs politiques corrompus

    Aux yeux d'Izzeldin, les chefs politiques de son peuple ne font pas grand-chose pour que ça s'arrange. Cet été, des dizaines de milliers de Palestiniens sont descendus dans les rues de Jérusalem pendant une semaine pour protester contre les menaces envers la souveraineté palestinienne, symbolisées par l'installation de détecteurs de métaux, retirés depuis, sur l'esplanade des Mosquées, l'un des lieux saints de l'Islam. Cette mesure avait été prise suite à une attaque terroriste mortelle à cet endroit au cours de laquelle deux policiers israéliens avaient été tués. Mais derrière les mouvements de protestation, on trouvait des personnalités religieuses, et non les partis politiques du Fatah ou du Hamas, ou encore l'Autorité palestinienne.

    Les manifestations attestent du sentiment général à l'encontre de Mahmoud Abbas et de l'Autorité palestinienne soutenue par l'Occident, qui, selon la loi israélienne, ne peut pas opérer dans la ville. Les Palestiniens se plaignent de chefs corrompus et autocratiques qui sévissent au sein de l'Autorité palestinienne. Beaucoup considèrent qu'ils suivent les ordres d'Israël et assoient davantage l'occupation, avec le soutien de la communauté internationale. «Ils ne représentent que l'élite des chefs politiques», souffle Izzeldin. «Ils ne représentent vraiment aucun Palestinien.»

    Osama Abu Khalaf voudrait un gouvernement qui le représente. Mais comme bon nombre de Palestiniens (et d'Israéliens), il ne compte plus vraiment sur une solution bi-étatique. Il pense qu'il serait à présent plus réaliste d'espérer une région autonome palestinienne à la manière de la Catalogne en Espagne ou du Pays de Galles au Royaume-Uni.

    Qu'importe ce que l'«accord final» de Donald Trump ait à offrir, et qu'importe ce que les chefs israéliens, palestiniens et arabes puissent offrir en échange, sa vie restera certainement inchangée. Il veut simplement vivre normalement à Jérusalem en jouissant de ses droits.

    Ce post a été traduit de l'anglais.