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Voilà pourquoi il n'y aura pas de grandes manifestations pro-LGBT+ en Russie pendant la Coupe du monde

Les yeux du monde entier seront tournés vers la Russie en juin et juillet. Mais ne vous attendez pas à voir des groupes LGBT+ manifester.

Les activistes LGBT+ russes disent qu'ils n'ont pas prévu d'utiliser la Coupe du monde, qui débute le 14 juin, pour mettre en lumière les politiques anti-LGBT+ du pays.

Des manifestations très médiatisées organisées par des groupes LGBT+ s'étaient déroulées en marge des Jeux olympiques d'hiver de 2014 à Sotchi, mais les activistes disent qu'une récidive serait inutile et du gâchis, la répression de Vladimir Poutine contre l'opposition politique s'étant largement accrue depuis.

Beaucoup pensent que l'incroyable énergie dépensée dans les manifestations lors des JO de 2014 n'a pas engendré beaucoup de changement – la loi contre la «propagande homosexuelle» est toujours en vigueur et aucune enquête sérieuse sur les nombreux rapports de torture et disparitions de personnes LGBT+ en Tchétchénie n'a encore été effectuée.

ONG discréditées

«Les manifestations ne sont pas aussi efficaces en Russie, surtout à l'approche d'événements publics de cette ampleur. Elles seraient rapidement et durement interrompues», explique Polina Andrianova, de l'association Coming Out de Saint-Pétersbourg, qui fut arrêtée en 2014 pour avoir fait partie d'un petit groupe ayant pris une photo avec une banderole défendant les droits LGBT+ près d'un monument de Saint-Pétersbourg avant les JO de Sotchi.

Depuis, le gouvernement a intensifié l'application d'une loi exigeant que les groupes recevant un financement de l'étranger s'enregistrent comme «agents étrangers» afin de discréditer les ONG ou les priver de ressources financières. La Coupe du monde commencera à peine trois mois après l'élection de Vladimir Poutine, en tant que président (son quatrième mandat) lors d'une élection ayant vu le leader de l'opposition, Alexeï Navalny, se faire disqualifier. Ce dernier se trouvera même en prison lors du début de la compétition pour avoir organisé un rassemblement illégal.

Le gouvernement a également promulgué une règle spéciale à l'approche de la Coupe du monde rendant nécessaire la possession d'un permis même pour les manifestations n'impliquant qu'une seule personne, une chose normalement nécessaire uniquement pour les manifestations collectives.

Polina Andrianova, de Coming Out de Saint-Pétersbourg, ajoute que le tollé international n'avait pas attiré le soutien des commanditaires les plus puissants des Jeux, qui auraient pu avoir le poids nécessaire pour exiger de vraies réformes.

«En 2014, nous avons fait pression sur de grandes entreprises internationales, les sponsors des Jeux, pour qu'elles montrent de façon créative leur soutien à la communauté LGBT+ de Russie. Mais aucune de ces entreprises ne l'a fait», a-t-elle ajouté.

Un «soutien moindre» de la FIFA que celui du CIO

Minky Worden, de Human Rights Watch, qui a plaidé auprès du Comité international olympique (CIO) en 2014, et auprès de la Fédération internationale de football association (FIFA), l'instance dirigeante du foot, avant la Coupe du monde, a dit que la FIFA avait affiché un soutien public envers les activistes LGBT+ encore moindre que celui du CIO, rendant difficile l'utilisation du tournoi pour demander une réforme.

«Le CIO n'était pas opposé à une expression publique de son soutien à la communauté LGBT+», a dit Minky Worden, faisant référence à des gestes comme une rencontre entre le président du CIO et des défenseurs des droits LGBT+ russes en novembre 2013.

En revanche, les dirigeants de la FIFA n'ont fait aucun geste public similaire, a-t-elle déploré et, en 2017, l'organisme n'a pas non plus adopté un langage l'engageant à «s'attaquer à la discrimination sous toutes ses formes» pour exiger que la loi sur la propagande homosexuelle en Russie soit abrogée. Au lieu de profiter du tournoi pour demander des comptes aux dirigeants tchétchènes concernant les meurtres supposés de personnes LGBT+, la FIFA semble récompenser le gouvernement local en autorisant l'équipe égyptienne à installer son camp d'entraînement à Grozny, la capitale tchétchène.

«La FIFA n'a pas compris qu'il fallait mettre les préoccupations en matière de droits de l'homme le plus en avant possible, ce qui est la leçon tirée des Jeux de Sotchi, a déclaré Minky Worden, de Human Rights Watch. Quoi que vous fassiez en coulisses pour protéger les fans LGBT+, il est important que vous disiez publiquement que le foot ne tolère pas les discriminations à l'encontre des personnes LGBT+... La FIFA ne le faisant pas, la communauté LGBT+ ne se tourne pas vers elle pour trouver un soutien.»

Un porte-parole de la FIFA a répondu à cette critique dans une déclaration : «La FIFA a tendu la main et entretient des contacts réguliers avec des intervenants pertinents dans le domaine de la diversité et de la lutte contre les discriminations.» La déclaration précisait que la FIFA condamnait la purge LGBT+ en Tchétchénie : «La FIFA est totalement dévouée à assumer ses responsabilités en matière de droits de l'homme... et ne légitime aucun régime.»

À la question de savoir ce que la FIFA faisait pour promouvoir les droits LGBT+, le porte-parole a déclaré que, «par principe, toute violation des droits de l'homme liée aux activités de la FIFA allait par conséquent à l'encontre des valeurs de la FIFA».

La Fédération de Russie de football n'a pas répondu à notre demande de commentaires pour cet article.

Un festival «Football pour tous»

La plupart des discussions publiques à l'approche de la Coupe du monde se concentrent sur la sécurité des fans LGBT+ pendant le tournoi, dissimulant la situation à laquelle sont confrontés les membres de la communauté LGBT+ russe, a déclaré Aleksandr Agapov, de la Fédération sportive LGBT+ de Russie.

À la place des manifestations dans les rues qui avaient été organisées lors des Jeux olympiques, le groupe d'Aleksandr Agapov prévoit un festival «Football pour tous» dans les villes du pays, espérant attirer des célébrités ouvertement homosexuelles du football professionnel.

Aleksandr Agapov a dit à BuzzFeed News qu'il était en discussion avec Thomas Hitzlsperger concernant sa possible participation. Thomas Hitzlsperger, ancien international allemand, a participé à la Coupe du monde de 2006. Lorsqu'il a fait son coming out, après avoir pris sa retraite en 2013, il était le joueur de foot le plus en vue à avoir fait part publiquement de son orientation sexuelle.

Thomas Hitzlsperger n'a pas répondu aux sollicitations de BuzzFeed News, mais Ryan Atkin, arbitre professionnel anglais ouvertement gay, a lui confirmé qu'il participerait à l'événement.

Aleksandr Agapov a révélé avoir participé à des rencontres à huis clos avec des dirigeants de la FIFA et espérer que l'organisme soutiendrait le festival. Le porte-parole a indiqué que la FIFA «était sur le point de signer un contrat» pour procurer un «financement initial» à l'événement, mais il n'a pas révélé le montant de cette contribution.

Public international sensibilisé

Aleksandr Agapov a précisé qu'il espérait que le soutien de la FIFA ferait pression sur la Fédération de Russie de football pour qu'elle prenne contact avec son groupe et permette au festival de devenir un événement annuel. Mais il a tempéré ses propos : «Il lui a fallu tellement de temps pour décider si elle allait défendre la communauté LGBT+ pendant la Coupe du monde en Russie qu'elle n'aura pas le temps de décider de soutenir notre projet ou non.»

Pour Polina Andrianova, de Coming Out, ce festival est dans la lignée de la stratégie qui a permis au mouvement de se développer malgré la répression des droits LGBT+.

«Le mouvement s'est bien développé : il y a beaucoup plus d'activisme populaire et citoyen, le mouvement a beaucoup plus d'alliés, nous organisons nos festivals et parfois même des rassemblements. Il est important que la communauté internationale ne pense pas que nous ne pouvons rien faire en Russie, ce n'est pas le cas.»

Certains des grands groupes internationaux ayant mené de larges campagnes de soutien aux droits LGBT en Russie en 2014 ne prévoient eux non plus aucune action spécifique pour la Coupe du monde.

Ty Cobb, le directeur de l'action internationale de Human Rights Campaign (HRC), a annoncé que HRC avait décidé de ne pas organiser de campagne principalement parce que le groupe s'attendait à un intérêt amoindri de ses membres après que la non-qualification des États-Unis pour la compétition. La branche européenne de l'Association internationale lesbienne et gay fera également profil bas pendant la Coupe du monde. Sa directrice du plaidoyer, Katrin Hugendubel, a expliqué que c'était parce que les campagnes pendant les événements très médiatisés pouvaient «sensibiliser le public international, mais qu'elles n'apportaient malheureusement pas les changement structurels nécessaires pour assurer un impact durable.»

Aleksandr Agapov a dit qu'il s'inquiétait du fait que de nombreux fans LGBT+ de foot prévoyaient de ne pas se rendre aux matchs. Il pense que le manque de visibilité des personnes LGBT+ se rendant aux matchs fera le jeu de la propagande russe qui dit que les médias occidentaux ont exagéré l'importance des droits LGBT+ : «Ça correspond tellement au message de propagande qui dit que les personnes LGBT+ sont une création occidentale.»

Ce post a été traduit de l'anglais.