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    Un hoax sophistiqué basé sur des documents entièrement inventés fait monter d’un cran le phénomène des «fake news» et révèle qu’à gauche, de plus en plus de gens sont prêts à croire n'importe quoi à partir du moment où cela nuit à Donald Trump.

    Fin janvier, un Israélien du nom de Yoni Ariel s’envole de Tel Aviv pour rejoindre Rome, avec 9,000 dollars (8,300 euros) en petites coupures et un objectif: renverser Donald Trump.

    Sur place, il doit retrouver un homme d’affaires italien attablé à l’arrière d’un café, à l’abri des regards. En échange de l’argent, raconte-t-il, l’homme lui a remis des documents contenant des révélations potentiellement explosives.

    Ces 35 pages montraient comment le géant pétrolier ExxonMobil avait transféré 1,6 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros) aux bureaux européens d’une compagnie minière chinoise qui, 24 heures plus tard, avait viré 1,4 milliard à la Trump Organization, le conglomérat privé géré par le président américain.

    Ces transferts auraient été effectués mi-juin, au moment même où le PDG d’Exxon de l’époque, Rex Tillerson, se trouvait à Saint-Pétersbourg pour un forum économique auquel assistait également le président russe Vladimir Poutine. Moins de six mois après, le président Trump –qui, selon les services de renseignement américains, a remporté l’élection grâce à l’intervention de la Russie– nommait Rex Tillerson secrétaire d’État.

    Pour Yoni Ariel, qui est marié à une Américaine, les manipulations russes ne sont rien de moins qu’un «acte de guerre» et l’objectif de ces transferts d’argent est clair: Exxon a versé des pots-de-vin à Donald Trump pour qu’il offre un poste de premier plan à Rex Tillerson dans son cabinet.

    Inquiet, l’Israélien a donc fait parvenir les documents en sa possession à un réseau d’activistes démocrates et anti-Trump qui, à leur tour, les ont envoyés à des médias importants, dont BuzzFeed News.

    Problème: ces documents sont bidons. Les transferts d’argent n’ont jamais eu lieu et l’ensemble des documents semble avoir été fabriqué pour monter une arnaque très sophistiquée. Plusieurs personnes sont impliquées dans la fabrication, la vente et la diffusion de ces documents et parmi elles un Italien haut en couleurs qui prétend être baron et chevalier, un Israélien qui aurait, selon ses dires, participé à des actes de «subversion politique» au sein du Congrès national africain durant l’apartheid, et un repris de justice américain en quête de tout ce qui pourrait nuire à Donald Trump ainsi qu’à d’autres républicains.

    En l’espace de quatre mois, depuis la fin de l’élection présidentielle, un marché florissant a vu le jour qui consiste à mettre la main sur les casseroles de Trump et de ses associés. Des opportunistes ont commencé à agiter de soi-disant preuves irréfutables –souvent, moyennant finance– sous le nez de journalistes, détectives amateurs ou activistes politiques au portefeuille bien garni, animés par une telle volonté de nuire au président américain qu’ils en oublient les précautions élémentaires.

    Des opportunistes ont commencé à agiter de soi-disant preuves irréfutables sous le nez de journalistes, détectives amateurs ou activistes politiques animés par une telle volonté de nuire au président américain qu’ils en oublient les précautions élémentaires

    De telles fabrications font monter d’un cran le phénomène des «fake news», ces mensonges calibrés pour Facebook et Twitter, présentés comme de véritables articles de presse et qui donnent aux internautes ce qu’ils veulent entendre. Dans cette affaire, des preuves ont été délibérément inventées pour faire croire à l’authenticité des allégations. Ces faux documents montrent aussi qu’une frange de la population est de plus en plus encline à croire Trump capable de tous les méfaits.

    Des faux qui bernent le public et impactent la politique américaine, ça n’a rien d’exceptionnel. Déjà, pendant le mandat de George W. Bush, de faux documents (trouvent aussi leur origine en Italie) indiquaient que l’Irak avait tenté d’acheter du concentré d’uranium au Niger, et des rapports douteux concernant le service militaire du même président Bush avaient coûté sa carrière au journaliste de CBS News Dan Rather.

    Depuis l’élection de Donald Trump, de plus en plus de gens se sont mis à colporter –souvent par intérêt financier– les rumeurs les plus folles sur le président américain. Une source anonyme nous a par exemple demandé 15.000 dollars pour une vidéo «crédible» où des femmes racontaient les frasques «érotiques» de Donald Trump dans des boîtes de nuit aux quatre coins du monde. Un détective privé de premier plan basé à Los Angeles proposait un «financement» de 2 millions de dollars pour ce qu’il décrivait comme une «info cruciale» concernant Trump et sa femme Melania. À chaque fois, BuzzFeed News a refusé de donner suite. Une startup israélienne a également essayé de convaincre des journalistes que le président avait plagié une partie de son discours d’investiture en utilisant leur logiciel –ce qui a tout l’air d’être complètement faux.

    Si Yoni Ariel reconnaît avoir payé en échange des documents sur Exxon, ni lui ni ceux qui ont aidé à diffuser ces faux ont tenté d’obtenir une compensation financière de la part de journalistes. Ils disent avoir plutôt défendu bec et ongles l’authenticité des documents et tenté d’attirer l’attention pour, pensaient-ils, le plus grand bien de la démocratie. Mais aussi nobles qu’aient pu être leurs intentions, si leur entreprise de persuasion avait abouti, cela n’aurait fait que brouiller davantage les pistes dans une époque de plus en plus caractérisée par la propagation de fausses informations.

    Anatomie d'un faux document

    Cliquez sur les cercles roses pour comprendre les erreurs

    Yoni Ariel, qui se fait aussi appeler Jonathan Schwartz, est un homme de 60 ans qui vit en Israël depuis 1969. Il dit avoir travaillé dans une startup qu’il refuse de nommer, et exercer des activités de consultant en cybermédias. Né en Afrique du Sud, il évoque une expérience dans l’espionnage international ainsi qu’un passé dans la «subversion politique» dans les années 70 au sein du Congrès national africain, engagé dans la lutte contre l’apartheid. Depuis, il dit avoir travaillé comme journaliste et consultant politique, et avoir révélé de nombreux scandales politiques.

    Il affirme avoir entendu parler de ces documents via Sheldon Schorer, avocat, ancien conseiller juridique et ex-porte-parole des Démocrates d'Israël. Ce dernier déclare quant à lui avoir été contacté à ce propos par un ex-ambassadeur israélien en Italie, qu’il refuse de nommer.

    D’après nos sources, il s’agirait de Gideon Meir, en poste à Rome de 2006 à 2011 et qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Il aurait eu vent des documents par un certain Corrado Pasetti, un Romain qui dit être consultant pour des entreprises de construction à l’étranger. Selon Pasetti, c’est Meir qui aurait vendu les documents à Yoni Ariel. D’après ce dernier, Pasetti serait un retraité du renseignement italien et les documents auraient été interceptés par un agent des services secrets qui vérifiait qu'Exxon se conformait aux sanctions prises à l’encontre de la Russie après l’annexion de la Crimée.

    Corrado Pasetti dément tout. Il raconte que les documents lui ont été remis par un associé qu’il refuse de nommer, à qui il a donné les 9.000 dollars et qui les a remis à son tour à un certain Luigi Forino –un des trois signataires du contrat Exxon, où il est présenté comme «general manager director» de l’entreprise minière chinoise MCC Holding.

    Luigi Forino se fait aussi appeler Baron Luigi Louis Forino de Little Staughton (un titre que l’on peut acheter pour 15.000 livres sterling), et l’on trouve un site sur lequel il est présenté comme Chevalier de l’Ordre de Malte et Templier en Angleterre. Il dit avoir également signé des contrats avec David Rockefeller et serait la 190e personne la plus riche du monde –choses qu’il prouve en photoshoppant des articles de Forbes et du Wall Street Journal. Il affirme aussi être le PDG de MCC. L’homme travaillerait à Paris, mais on ne trouve aucune trace de bureaux européens sur le site officiel de MCC, ni de Forino dans les documents officiels de l’entreprise chinoise. De plus, son adresse parisienne est celle de bureaux partagés. Sur internet, on trouve pléthores d’informations sur cet homme, la plupart du temps des témoignages de gens qu’il a escroqués ou tenté d’escroquer, en leur faisant miroiter des prêts qui n'ont jamais abouti.

    Yoni Ariel, via le président des Démocrates de France et un ancien du Comité national démocrate à Washington, est entré en contact avec Brett Kimberlin, un militant d’extrême gauche qui a passé 17 ans en prison notamment pour avoir posé des bombes en 1978 dans l’Indiana. D’après Yoni Ariel, c’est lui a réglé les 9.000 dollars réclamés en échange des documents. Il a refusé de répondre à nos questions sur le sujet.

    Le 22 janvier, un activiste politique proche de Brett Kimberlin a contacté un journaliste de BuzzFeed News via un mail crypté. «Ce n’est pas une rumeur d’internet, quelqu’un est allé à Rome pour examiner des documents bancaires, des passeports, etc. Dites-moi si vous voulez en savoir plus.»

    À réception des documents, plusieurs éléments ont alerté la rédaction de BuzzFeed News. Le contrat de 30 pages est truffé de fautes, chose surprenante pour une société comme Exxon. He Ting Shen y est présenté comme le PDG de MCC, alors qu’il s’appelle Shen Heting sur le site de l’entreprise chinoise et qu’il s’agit de son président. Les documents bancaires sont également douteux, avec un code postal erroné, un numéro de compte qui ne correspond pas à sa localisation géographique et un numéro de téléphone qui appartient en fait à TG & Scrap LLC, une ancienne épicerie en gros basée à Houston, Texas.

    Les frais de transfert ne sont pas non plus conformes à ceux pratiqués par la Chase Bank, et un porte-parole chez JPMorgan Chase affirme ne pas avoir «trace de la transaction et après analyse du document, de nombreux détails indiquent qu’il n’est pas authentique». La banque HSBC, elle aussi impliquée dans ces documents (MCC aurait transféré les 1,6 milliard sur un compte de HSBC France) ne «reconnaît pas le document, ni aucune des données de transaction inscrites».

    Le porte-parole d’Exxon, William Holbrook, a refusé tout commentaire pour ne pas «donner d’importance» à ces intox, mais signale que Sandra C. Collier, dont la signature apparaît sur le contrat, n’a pas travaillé pour Exxon depuis «des années».

    MCC Holding, basée à Pékin, n’a pas répondu à nos sollicitations.

    La Trump Organization a contacté la Maison blanche, qui n’a pas donné de réponse.

    Vous pouvez lire l'intégralité de l'enquête en anglais, ici.


    Megha Rajagopalan, basée à Pékin, a contribué à cet article.

    Ce post a été traduit de l'anglais et condensé par Nora Bouazzouni