Aller directement au contenu

    Devant la polémique, le patron du «Bal Nègre» n’exclut pas de changer de nom

    «Ce nom de "Bal Nègre" assorti d'un logo représentant une caricature de Joséphine Baker dansant avec une ceinture de bananes ne peut manquer de faire polémique», résume l'écrivain guadeloupéen Claude Ribbe à BuzzFeed News.

    Le patron du «Bal Nègre», un lieu de spectacle censé rouvrir ses portes au mois de mars, est vivement critiqué depuis quelques jours. On lui reproche d'avoir choisi ce nom qui évoque l'époque coloniale française.

    Donc depuis hier @lebalnegre et sa page Facebook ont disparu ... cela n'enlève rien à notre indignation ! #NonAuBalDesColons

    L'interview qu'a donnée Guillaume Cornut, le propriétaire du «Bal Nègre», au site Africultures n'a fait qu'alimenter la colère.

    Non mais il est sérieu le mec, il appelle son truc le Bal Nègre et veut se faire passer pour un humaniste et plus d… https://t.co/WlHPNfnMdo

    «Le cas du Bal Nègre n’est pas une première. Les Parisiens cohabitent déjà avec le Palais des Colonies et ses fresques à la gloire de la France impériale, et la façade du Nègre Joyeux, rue Mouffetard. Pour son projet, Guillaume Cornut a reçu les soutiens de la Ville de Paris, de la DRAC et du magazine Télérama. Il a été reçu par des médias mainstream. Personne n’a jamais questionné le nom du lieu, hormis le site francetvinfo. On se demande comment cela a été possible», note la journaliste d'Africultures.

    Donc dans le plus grand des calmes @lebalnegre (entreprise d'un ex-trader Blanc bien entendu), ouvrira prochainement ses portes

    An de grace 2017, des gens ne comprennent pas que des noirs soient contre le nom un cabaret qui s'appelle "le bal nègre"

    Cibles de nombreuses critiques, les pages Facebook et Twitter de l'établissement ont été fermées. Une page Facebook non officielle, créée automatiquement par le réseau social, recueille désormais les objections liées au nom du cabaret.

    Le terme de «nègre» évoque directement la période esclavagiste et colonialiste de l'Histoire de France, comme l'expliquait l'historien Pap Ndiaye à France Culture au mois de mars 2016.

    Il commentait les propos de la ministre Laurence Rossignol, qui avait parlé dans une interview sur RMC des «nègres américains qui étaient pour l'esclavage».

    Dans la première moitié du XXe siècle, ce terme continue d'être utilisé pour qualifier les artistes noirs, notamment dans la musique et la danse. Mais il est ensuite en déclin à cause de son caractère péjoratif.

    «Le terme "nègre", très présent jusque dans les années 30 dans le monde des arts vivants et le monde de la danse, des revues et des bals, avait alors tendance à disparaître, car on soulignait déjà sa connotation péjorative», racontait Pap Ndiaye à France Culture.

    Le «Bal Nègre» était un lieu populaire de la vie nocturne parisienne dans les années 20 et 30. Guillaume Cornut, ex-trader et pianiste, veut rouvrir le lieu depuis 2010, comme il le souligne dans une interview à l'AFP qui date de 2015.

    «Je souhaite redonner au Bal Nègre l'esprit cabaret de ses origines avec des tables, un bar et, au cœur de tout cela, toutes les musiques et un cocktail de cultures», expliquait-il alors.

    Guillaume Cornut n'exclut pas de changer le nom de son établissement. «Si ça heurte sincèrement la sensibilité des gens, je les respecte, je vais considérer ça et prendre des avis», dit-il à BuzzFeed News. Il justifie toutefois sa démarche:

    «Un film documentaire a été tourné pendant les travaux. On a fait venir 200 à 300 artistes dont un grand nombre [d'artistes noirs], et tous évoquent la mémoire du lieu avec beaucoup de nostalgie, disent que c'est un immense hommage à la négritude», raconte le propriétaire des lieux.

    «J'ai eu une démarche extrêmement sincère et ouverte. Je ne cherche ni la polémique ni quoi que ce soit, ni à blesser qui que ce soit», résume-t-il.

    «S'il faut changer le nom, je changerai le nom. S'il change, les personnes qui se seront battues se seront trompées de combat. Elles auront enterré un lieu avec une histoire magique.»

    «Des amis, comme l'écrivain guadeloupéen Claude Ribbe, m'ont dit que c'était un hommage à la communauté que de conserver ce nom», disait le propriétaire du «Bal Nègre» dans une interview à l'AFP.

    Interrogé par écrit par BuzzFeed News, l'auteur, qui a beaucoup écrit sur le racisme subi par les afro-descendants, nous dit pourtant sa colère d'avoir été mêlé «à [son corps défendant]» à ce choix de nom.

    «Je me suis aperçu voici trois jours que mon nom avait été cité par Guillaume Cornut comme "caution" de l'intitulé de son établissement. Si je me suis réjoui voici quatre ans que l'établissement de la rue Blomet soit sauvé (ce que Guillaume Cornut m'a dit vouloir faire), je n'ai bien évidemment jamais approuvé qu'il l'ouvre sous l'appellation "Bal Nègre" et je m'étonne qu'il me cite sans m'avoir prévenu ni même m'avoir dit que son établissement allait ouvrir, ce que je découvre», écrit-il.

    «Je suis très déçu de constater, renseignements pris, que l'établissement dont le nom fait aujourd'hui polémique soit totalement indifférent à la communauté noire de France et à son histoire dont Cornut ne semble pas connaître grand-chose. Ce nom de "Bal Nègre" assorti d'un logo représentant une caricature de Joséphine Baker dansant avec une ceinture de bananes ne peut manquer de faire polémique. Je me désolidarise totalement de ce projet et déplore d'y avoir été mêlé à mon corps défendant.»

    «Le fait de parler à ma place sans me prévenir pour me prêter des propos que je n'ai jamais tenus en dit long sur le respect de ma personne, de mes combats et plus généralement des afro-descendants de France», ajoute l'écrivain.

    Contactée par BuzzFeed News, la mairie de Paris nous a répondu:

    «Ce lieu relève de la propriété privée. Il n’appartient donc pas à la Ville de décider de son nom, d'en demander le changement, ni même de porter un jugement sur le choix opéré par le propriétaire qui a choisi de reprendre le nom d’origine de l’établissement. C'est le droit privé qui s'applique et les propriétaires sont libres de choisir la dénomination qu'ils souhaitent tant que celle-ci est conforme à la loi, ce qui est le cas ici.

    Ce lieu est ancré dans l’histoire de Paris et tient une place particulière dans l’histoire de l’art et la culture. Dans ce cadre, la Ville a accompagné les travaux, comme elle le fait pour les autres établissements de ce type, via son fonds ‎d'aide aux salles de musiques actuelles.»

    Cela fait un moment que le projet du «Bal Nègre» est dans les tuyaux. Dans un conseil de quartier du 15e arrondissement, le maire d'arrondissement Philippe Goujon et son adjointe Anne-Charlotte Buffeteau évoquent le dépôt de permis de construire pour la réouverture du Bal Nègre.

    À aucun moment le nom du cabaret n'est évoqué dans les discussions du conseil de quartier.

    La polémique récente autour du «Bal Nègre» a d'ailleurs exhumé le tweet d'une élue du 15e arrondissement, qui date de 2013, dans lequel on voit Philippe Goujon poser aux côtés d'une femme en «blackface» (déguisée en personne noire) et d'un homme en déguisement «colonial».

    Toutefois, cette photo n'est pas liée au «Bal nègre» ouvert par Guillaume Cornut. Elle a été prise dans un événement organisé par l'association «Carnets de bals», spécialisé dans l'organisation de bals «historiques». La même image prise d'un autre angle a été publiée sur Facebook.

    facebook.com

    Elle a été prise lors du «bal Joséphine Baker», organisé dans la salle des fêtes de la mairie du 15e arrondissement le 19 octobre 2013.

    De son côté, la mairie du 15ème arrondissement n'a pas donné suite à nos sollicitations pour le moment.