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    Voici comment la loi anti-avortement de Donald Trump aura un impact sur les femmes du monde entier

    Selon les défenseurs des droits et de la santé des femmes, la décision du président de rétablir la «règle du bâillon mondial» augmentera le nombre d'avortements à risque dans le monde.

    Le président Donald Trump a rétabli la «règle du bâillon mondial» controversée -un revirement de politique qui fait craindre aux défenseurs des droits et de la santé des femmes une hausse des avortements insalubres dans le monde.

    La règle de l'époque Reagan empêche essentiellement les organisations étrangères qui reçoivent des fonds américains de parler aux femmes de l'avortement. La décision du président Trump de rétablir la règle arrive un jour après le 44e anniversaire de Roe v. Wade , la décision de la Cour suprême des États-Unis qui avait légalisé l'avortement.

    Les conservateurs ont bien accueilli la décision, alors que certains démocrates et plusieurs experts en santé publique ont décrié le changement, jugé dangereux.

    «C'est une pure trahison politique au détriment de certaines femmes les plus vulnérables du monde», déclare Aram Schvey, conseiller principal en politique et responsable des projets spéciaux au Center for Reproductive Rights.

    Voici comment cela fonctionne: les organisations étrangères qui acceptent de l'argent des États-Unis pour la planification familiale ne peuvent pas utiliser d'argent, quel que soit le donateur, pour des services en lien avec l'avortement. Il s'agit d'une restriction concernant la façon dont elles utilisent les autres fonds qui ne proviennent pas du gouvernement américain et cela s'applique à l'accès à l'avortement ou aux renseignements sur l'avortement, y compris les conseils d'ordre médical ou le fait mettre en contact un patient avec un médecin pratiquant l'avortement —même dans les pays où l'avortement est légal.

    L'aide américaine à l'étranger n'a jamais servi à régler le coût des avortements comme méthode de planification familiale. C'est illégal, en vertu de l'amendement Helms de 1973, qui est une loi américaine appliquée à chaque administration, et non pas un décret que les présidents peuvent abroger ou remplacer à volonté.

    Les deux plus grands partenaires de l'USAID en matière de planification familiale, Marie Stopes International (MSI) et l'International Planned Parenthood Federation (IPPF), refuseront de signer la politique, ont dit des officiels de chaque organisation à BuzzFeed News.

    Selon les experts, cette décision, que l'on appelle également politique de Mexico, entraînera une hausse des avortements et de la mortalité maternelle dans le monde entier.

    Le MSI estime qu'il y aura 2,2 millions d'avortements en plus dans le monde chaque année, dont 2,1 millions seront pratiqués dans des conditions dangereuses, selon Marjorie Newman-Williams.

    «Le taux de mortalité maternelle, due à un plus grand nombre de grossesses, notamment de celles qui ont recours à un avortement non médicalisé, va augmenter de façon assez dramatique», explique Marjorie Newman-Williams, vice-présidente et directrice des opérations internationales pour le MSI.

    L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les avortements pratiqués dans des conditions dangereuses causent 13% des décès maternels dans le monde.

    «Ça va être très facile pour ce président d'envoyer un tweet et de négliger l'effet de choses comme la règle du bâillon mondial... [ou] les compressions budgétaires sur la santé des femmes, au niveau national et international, déclare Jonathan Rucks, directeur du plaidoyer de PAI, une organisation focalisée en santé reproductive à Washington, DC. Cela me fait très peur.»

    Des recherches antérieures suggèrent aussi que les taux d'avortement seront à la hausse. Une étude du XXe siècle réalisée par la Stanford University School of Medicine, publiée par l'OMS en 2011, a découvert que les taux d'avortement ont augmenté de 40% la dernière fois que la règle du bâillon était en vigueur, sous le président George W. Bush. Dans les pays les plus touchés par la politique, l'utilisation des contraceptifs a chuté et la probabilité qu'une femme ait recours à un avortement non médicalisé était deux fois plus élevée après l'entrée en vigueur de la politique.

    Selon Marjorie Newman-Williams, MSI s'attend aussi à une augmentation du nombre de femmes sollicitant des soins pour des infections, des saignements ou des blessures causés par les avortements clandestins ou pratiqués dans des conditions dangereuses. Mais même les femmes qui porteront une grossesse non désirée à terme seront une charge de travail en plus pour les systèmes de santé avec des grossesses et des accouchements présentant des complications, ou même tout simplement à cause du nombre impressionnant des naissances supplémentaires.

    «Les coûts des soins de santé monteront en flèche, ajoute Marjorie Newman-Williams. La répercussion sur la santé publique est considérable. C'est une politique très irréfléchie qui nuit tout simplement aux femmes.»

    La politique de Mexico est un décret qui va et vient selon le parti à la Maison-Blanche: Ronald Reagan a rédigé la règle en 1984; Bill Clinton l'a annulée lorsqu'il est entré en fonctions; George W. Bush l'a rétablie huit ans plus tard; et Barack Obama l'a à nouveau annulée.

    Selon Serra Sippel, présidente du Center for Health and Gender Equity (CHANGE), basé à Washington, DC., la règle risque d'être encore plus nuisible qu'auparavant.

    «C'est une politique de 1984. C'est un échec. Elle est dépassée et beaucoup de choses se sont passées depuis la première fois qu'elle a été mise en place», explique Serra Sippel, en mettant l'accent sur les engagements mondiaux pour augmenter le financement de la planification familiale, intégrer la prévention du VIH dans la santé reproductive, et inciter des changements dans les lois sur l'avortement. Depuis 1984, 40 pays ont libéralisé leurs méthodes abortives, ajoute-t-elle.

    «La simple idée que cette politique sera rétablie est inadmissible et honnêtement, c'est assez ridicule», déclare Serra Sippel.

    Les experts en santé publique ont aussi souligné que les systèmes de santé publique mondiaux ont changé pendant que Barack Obama était au pouvoir, ce qui rend l'effet domino de la règle du bâillon encore plus significatif aujourd'hui que par le passé.

    «Au cours des huit dernières années seulement, nous avons fait en sorte que nos programmes américains de santé mondiale posent enfin un regard holistique sur la santé des femmes pour y intégrer le VIH dans la planification familiale et le choix contraceptif, dit Serra Sippel. L'apparition d'une règle du bâillon en ce moment est une menace pour la santé et la vie des femmes et des filles, car elle leur coupera l'accès à ces services vitaux.»

    La règle cible strictement l'avortement, mais selon les experts en santé, la politique perturbera l'accès à la contraception des femmes. L'USAID fournit presque la moitié du financement global pour la contraception féminine, selon CHANGE, et la contraception est un outil clé dans la prévention du VIH.

    L'accès à la contraception repose sur une chaîne logistique complexe qui, une fois coupée, n'est pas facile à réparer. «Il y a une infrastructure à l'autre bout: où les méthodes de contraception sont reçues, entreposées, livrées, explique Judy Kahrl, membre du conseil d'administration à Pathfinder International, une organisation consacrée à la santé reproductive basée au Massachusetts. Cela peut se fermer rapidement, mais ça prend du temps à mettre en place.»

    Le financement réduit de l'USAID entraînera sans doute une réduction des effectifs et des fermetures de cliniques. Sous la règle du bâillon mondial à l'époque de Bush, un réseau de cliniques qui desservait plus de 1300 communautés au Ghana a dû réduire son personnel infirmier de 44%, selon une recherche du PAI.

    Et cela peut, à son tour, avoir un impact sur les taux du VIH, analyse Serra Sippel.

    «Les cliniques de planification familiale sont vraiment primordiales. Parfois, elles sont le premier point d'entrée dans le système de santé en matière de prévention et de traitement du VIH, explique-t-elle. Les gens obtiennent des renseignements sur l'utilisation des préservatifs afin de prévenir le VIH. C'est un endroit où un diagnostic du VIH peut être établi.»

    Les organisations vouées à la planification familiale disent que la règle a aussi un «effet paralysant» qui fait taire de façon efficace toute conversation sur l'avortement, et même sur les problèmes de santé importants qui n'ont rien à voir avec l'avortement.

    «Ces organisations ne pourront pas participer à des discussions sur la santé publique dont l'objectif est de réduire la mortalité maternelle liées à l'avortement pratiqué dans des conditions dangereuses. C'est un effet particulièrement pervers», dit Aram Schvey.

    BuzzFeed News a explicitement découvert cet impact, en examinant une loi fédérale similaire de 2015.

    «Le point fort à retenir de notre communauté concernant la dernière fois où cette [règle] était en vigueur et de façon générale, le fait de jongler avec les restrictions de la politique américaine existant déjà [est que] nous voyons souvent l'effet paralysant aller bien au-delà de la politique elle-même», déclare Chloe Cooney, directrice du plaidoyer mondial pour la Planned Parenthood Federation of America.

    Le fait de perdre le financement de l'USAID laissera le MSI avec un déficit budgétaire de 30 millions de dollars ou environ 20% de son budget annuel, et 1,5 million de femmes sans accès à la contraception dans ses cliniques, explique Marjorie Newman-Williams. L'IPPF s'attend à perdre 100 millions de dollars ou environ 25% de son budget, affectant ainsi 30 pays.

    «Cela dépend du gouvernement américain, dit Serra Sippel de CHANGE. Ce n'est pas comme si Marie Stopes ou l'IPPF choisissaient de ne pas accepter le financement américain. C'est le gouvernement américain qui leur coupe les fonds essentiels dont ils ont besoin afin de fournir des services vitaux en matière de santé reproductive.»

    «J'applaudis le président Trump pour cette action importante et je suis impatient de continuer à travailler avec lui pour élaborer des politiques pro-vie et protéger les dollars des contribuables», commente Michael C. Burgess, président du sous-comité House Health dans une déclaration peu de temps après la signature du décret.

    Dans une déclaration, la sénatrice Jeanne Shaheen du New Hampshire, une démocrate, a qualifié cette action d'exemple de la «dangereuse obsession de Donald Trump de faire reculer les droits reproductifs» et a dit que le fait de rétablir la règle «ignore des décennies de recherche, en favorisant la politique idéologique plutôt que l'avenir des femmes et des familles.»

    Jeanne Sheehan a promis de déposer un projet de loi abrogeant la règle mardi 24 janvier, un jour après la décision de Donald Trump.

    Ce post a été traduit de l'anglais.