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    Ce groupe veut mettre fin à l'immunité des casques bleus en cas de crimes sexuels

    Une campagne demande à l'Onu de lever cette immunité prévue par la convention de 1946, qui accorde selon ces critiques une impunité totale aux prédateurs sexuels.

    Un ancien commandant des forces de maintien de paix des Nations unies a demandé mercredi 13 mai la levée de l'immunité des casques bleus accusés de crimes sexuels.

    L'ancien lieutenant-général Roméo Dallaire, qui dirigeait les forces de l'ONU au Rwanda lors du génocide de 1994, a rejoint un panel international d'anciens diplomates qui ont récemment lancé une campagne visant à lever cette immunité et à mettre en place une commission indépendante pour enquêter sur les allégations d'exploitation sexuelle par les soldats et le personnel de l'ONU.

    «Rien ne peut davantage saper la crédibilité d'une force que de voir ceux qui sont là pour protéger se mettre en réalité à maltraiter et détruire, et bénéficier dans certains cas de violences commises sur des femmes et des enfants, garçons et filles, sur le théâtre des opérations» a déploré Roméo Dallaire lors d'une conférence de presse tenue par les partisans de la levée de l'immunité.

    La campagne «Code bleu» a été lancée quelques semaines après qu'un employé de l'ONU a été suspendu pour avoir fait fuiter un rapport sur des violences sexuelles perpétrées sur des enfants par des soldats français déployés en République centrafricaine. Ces soldats n'étaient à l'époque pas en mission pour l'ONU —les forces onusiennes ont été déployés après les faits qui font l'objet d'une enquête.

    L'année dernière, l'ONU a reçu 79 allégations d'exploitation ou de violences sexuelles, soit moins que les 93 de l'année précédente. Selon un rapport publié en février par le secrétaire général des Nations Unies, parmi ces accusations, 51 concernaient un employé militaire ou civil de l'ONU (dans le système de rapports de l'ONU, une seule allégation peut concerner plusieurs victimes et plusieurs auteurs, mais le rapport ne détaille pas le nombre total de responsables ou de victimes supposés).

    Le débat tourne autour de l'immunité conférée au personnel civil de l'ONU par une convention de 1946, qui accorde également au secrétaire général des Nations unies le pouvoir de lever cette immunité «dans tous les cas où, à son avis, cette immunité empêcherait que justice soit faite».

    «Et c'est là la dangereuse fenêtre temporelle, lorsque l'accusé et ses amis apprennent l'existence d'une allégation … et qu'ils attendent de voir si le secrétaire général va lever leur immunité» a confié Paula Donovan, co-fondatrice de AIDS-Free World qui conduit la campagne, à BuzzFeed News lors d'un entretien téléphonique. «Pendant cette période, vous pouvez détruire des preuves ….menacer ou intimider des témoins, ou corrompre des témoins.»

    Un fonctionnaire du bureau du secrétaire général lui a assuré que ce dernier levait l'immunité à chaque affaire de violence sexuelle. «Alors éliminez l'immunité» a rétorqué Paula Donovan. «Ne mettez plus cet obstacle en travers de la route. Éliminez-le totalement.»

    Le bureau du secrétaire général a signalé que l'organisation avait levé l'immunité «à de nombreuses reprises».

    Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations Unies, a également précisé à BuzzFeed par mail: «Cette immunité ne s'applique pas à leurs activités extérieures. Par conséquent, tout membre du personnel qui commet un crime (viol, agression, piraterie routière) ne bénéficie pas de l'immunité. Nous considérons que le membre du personnel doit répondre de ses actes devant la justice, soit dans le pays où le crime est commis, soit dans son pays d'origine.»

    Nick Birnback, porte-parole du département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, estime qu'il s'agit moins d'une question d'immunité que de juridiction. «La seule question est de savoir quelle loi s'applique» a expliqué Nick Birnback à BuzzFeed News. «Cela se résume à savoir quelle juridiction, de celle de l'État hôte ou de l'État de nationalité du présumé contrevenant, offre à l'individu une procédure équitable et garantit le mieux que justice sera faite.»

    Nick Birnback explique que l'immunité protège les membres du personnel de l'ONU susceptibles de faire l'objet de harcèlement ou de poursuites «simplement parce qu'ils font leur travail.» Il assure également qu'une levée générale de l'immunité «pourrait paralyser les opérations de l'ONU dans le monde entier… Par exemple, des employés chargés de la défense des droits de l'Homme pourraient être arrêtés pour intrusion en allant visiter une prison, ou un policier de l'ONU pour avoir protégé des civils lors d'événements violents.»

    Cependant, aux yeux de Paula Donovan les récentes révélations en République centrafricaine montrent à quel point cette impunité peut interférer avec les enquêtes sur des rapports faisant état de violences sexuelles. Le rapport qui a fuité était basé sur des entretiens effectués par un membre du personnel de l'ONU, explique Donovan qui a communiqué aux médias la copie du rapport qu'elle avait reçu.

    Les autorités françaises ont tenté d'interviewer la fonctionnaire de l'ONU qui a recueilli les déclarations des enfants, mais l'ONU a refusé par deux fois cette requête en invoquant son immunité, alors même que la fonctionnaire était d'accord pour leur parler, rapporte le Guardian.

    «La hiérarchie de l'ONU a refusé qu'elle soit questionnée, indiquant que la fonctionnaire en question bénéficiait d'une immunité qui devait être levée avant tout interrogatoire» a déclaré le bureau du procureur au Guardian.

    «Vous bénéficiez de l'immunité non seulement quand vous êtes accusé» rapporte Paula Donovan, «mais également quand vous êtes témoin d'exploitation et de violences sexuelles. Vous êtes protégé de toute implication.»

    Selon le porte-parole du secrétaire général des Nations Unies Stéphane Dujarric, l'ONU a entièrement coopéré et cette question d'immunité n'a jamais posé le moindre problème.

    Roméo Dallaire souligne quant à lui l'existence d'obstructions lorsque du personnel de l'ONU militaire plutôt que civil est accusé d'avoir commis des violences. «Le plus souvent, plutôt que de mener une enquête complète, vous voyez simplement arriver un avion et tout un tas de gens disparaissent», déplore-t-il.

    Nick Birnback estime que le département de maintien de la paix a fait des progrès. «Le nombre de nos incidents a diminué; la production de rapports a progressé» se réjouit-il. «Au final, (les États-membres sont) responsables de la conduite et de la discipline de leurs forces.»

    Roméo Dallaire estime cependant que les autorités de maintien de la paix de l'ONU ont davantage de pouvoir dans ce domaine qu'elles n'en exercent —dans ce cas, celui de lier levée d'immunité et participation à une mission de maintien de la paix.

    «Les pays fournissent des soldats à l'ONU dans le cadre d'un mémorandum d'entente... Alors la question sera de savoir si oui ou non, lorsque les pays signent ce mémorandum, l'ONU va introduire cette question de l'immunité parmi les critères. Et ça c'est, sûrement, je crois, quelque chose de faisable» a-t-il confié lors d'un entretien avec des journalistes.

    Roméo Dallaire avance que même avec une levée d'immunité pour les affaires de violences sexuelles, les pays voudront toujours participer aux missions de maintien de la paix.

    «Les gens qui me disent que si on en demande trop aux nations qui fournissent des soldats, eh bien elles n'en fourniront plus, c'est des conneries», s'indigne-t-il. «C'est mettre l'Onu au pied du mur en partant d'un argument qui ne tient pas debout. Il y a des soldats disponibles, des pays désireux de les fournir, et des pays responsables qui veulent professionnaliser leur armée grâce à de bonnes formations, une bonne expérience et en fait qui veulent que la crédibilité des forces de leur pays soit tenue en haute estime. Ils enverront des soldats.»

    Traduit par Bérengère Viennot.

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