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    Darayya, cette ville bombardée par le régime syrien et la Russie alors que Daech n'y est pas

    Ni l'État islamique ni Al-Qaïda ne se trouvent dans la ville de Darayya, dans la banlieue de Damas, mais le régime syrien insiste sur le fait qu'il continuera à la bombarder et à l'assiéger.

    ISTANBUL – Cette ville longtemps ciblée par les avions militaires et les roquettes des Russes et du régime syrien, a émergé comme obstacle clé face aux efforts internationaux pour obtenir un cessez-le-feu. Si cette banlieue de Damas connaît une relative accalmie depuis la trêve, le régime d'Assad ne compte pas cesser ses bombardements.

    Plus de 2000 personnes tuées

    Jour et nuit, les avions militaires russes et syriens frappent Darayya, ville assiégée de la banlieue de Damas, avec des bombes barils et des roquettes, tuant plus de 2000 personnes, et détruisant ou endommageant presque tous les bâtiments de ce qui était autrefois une ville animée de 200 000 personnes, témoignent auprès de BuzzFeed News des résidents se trouvant à l'intérieur de la ville.

    Le régime syrien dit qu'il se pourrait qu'un cinquième de la ville soit contrôlé par Jabhat al-Nosra. Une raison avancée pour l'exclure des termes du cessez-le-feu, établi par les États-Unis et la Russie, entré en application samedi. Le régime a refusé d'inclure cette partie dans les termes des négociations. Et si la ville connaît moins de bombardements depuis la trêve, des associations ont encore constaté des tirs de snipers.

    Pourtant, les experts sur la Syrie et les résidents se trouvant à l'intérieur de la ville insistent sur le fait que Jabaht al-Nosra, branche d'Al-Qaïda en Syrie, ne s'y trouve pas. Le groupe «État islamique» n'a pas non plus réussi à établir une présence dans la ville, où l'on trouve une bibliothèque utilisée par les rebelles et les résidents.

    Assiégée depuis près de 1200 jours

    Les bombes au-dessus de Darayya ne s'arrêtent jamais. Elles frappent lorsque le jour se lève, pendant la journée, lorsque les enfants jouent dans la rue ou rentrent de l'école. Elles détonnent lorsque les adultes parcourent les marchés pour le dîner. Elles frappent alors que les habitants de Darayya se blottissent dans des caves et des trous souterrains, essayant de s'endormir, et jusqu'au plus profond de la nuit.

    «Il faut environ 30 secondes avant qu'une bombe baril ne touche le sol, ce qui nous laisse un peu le temps de courir»

    Les habitants sont assiégés depuis près de 1200 jours et n'ont que très peu accès à l'électricité, au fioul, à l'eau potable, et aux habitations. Environ 30 des 40 mosquées de la ville ont été détruites.

    «Après le coucher du soleil, la plupart des civils descendent dans les caves et y passent la nuit», raconte Shadi Matar, 26 ans, un responsable du gouvernement local de Darayya.

    Certains jours avant la trêve, Darayya était frappée jusqu'à 50 fois par des bombes barils, lâchées par des hélicoptères ou des avions russes décollant d'une base aérienne militaire proche, qui ciblent souvent les écoles, les mosquées et les habitations.

    Un centre de documentation, géré par sept bénévoles, a compté 6025 bombes barils lâchées sur la ville depuis le début du conflit civil en Syrie, dont 765 rien qu'en janvier – soit une moyenne de 25 par jour. Près de 2114 personnes ont été tuées par les bombardements, d'après Abu Omar, nom de guerre d'un membre du centre de documentation. Près de 98% des bâtiments de la ville ont été endommagés ou détruits, par des attaques dévastatrices aux «roquettes éléphants», qui font un bruit perçant lorsqu'elles sont lancées et qu'elles touchent leur cible.

    «Le régime essaye de briser la résistance de Darayya et de prendre le contrôle de la ville par tous les moyens possibles», dénonce Abu Omar.

    «Les bombardements doivent être une sorte de revanche»

    Autrefois étudiant en droit, Abu Omar travaille désormais en tant qu'infirmier dans un hôpital de campagne de Darayya. Il passe son temps libre, avec quatre autres hommes et deux femmes, à compter, pour le centre de documentation, le nombre de fois que la ville est touchée par les projectiles du régime.

    Darayya est depuis longtemps une épine dans le pied du régime, étant l'un des rares avant-postes rebelles se trouvant juste à l'extérieur de la ville. «Les bombardements constants doivent être une sorte de revanche, avec pour objectif de détruire la ville», estime Shadi Matar. Il était possible d'entendre l'écho des bombes lors de son entretien avec BuzzFeed News via WhatsApp.

    «Si c'est directement au-dessus de nous, nous essayons de courir vers le sous-sol le plus proche», explique Shadi Matar. «Il faut environ 30 secondes avant qu'une bombe baril ne touche le sol, ce qui nous laisse un peu le temps de courir. Mais, la nuit, nous essayons de nous imposer un couvre-feu à nous-mêmes et nous essayons juste de rester en sous-sol. Chaque nuit, les hélicoptères lâchent des bombes barils. Nous ne pouvons pas les voir; nous ne pouvons pas déterminer l'endroit qu'elles toucheront.»

    La vie a empiré depuis novembre 2015, lorsque les avions et les armes russes ont commencé à cibler la ville. Des vols de surveillance ont commencé à ratisser le ciel, alors que le régime essayait de créer une barrière physique entre Darayya et Moadamiya, ville à l'ouest contrôlée par l'opposition.

    Le régime syrien a déclaré que la ville de Darayya ne comprenait pas de civils, seulement des opposants. Les résidents de la ville, eux, ont répondu en manifestant avec les femmes et les enfants.

    «Cette ville est l’ennemie de tous les dictateurs: du régime et de ses milices ou de Daech, d'Al-Qaïda, et de leurs groupes»

    Récemment, avant le cessez-le-feu négocié par les États-Unis et la Russie, les responsables du régime syrien ont été inflexibles en ce qui concerne la poursuite des frappes sur Darayya, dont la position stratégique proche de la base aérienne de Mazzeh lui apporte le potentiel pour perturber les frappes aériennes russes et syriennes.

    «L'armée obéit aux décisions du pouvoir syrien, mais les personnes se trouvant dans la ville de Darayya sont des membres du groupe terroriste Jabhat al-Nosra et ne sont pas incluses dans le cessez-le-feu, et nous continuerons de lutter contre les personnes armées de Darayya», a ainsi déclaré un responsable de l'armée à la radio d'État syrienne.

    Pas de groupes étrangers à Darayya selon les habitants

    Les déclarations liant les habitants de Darayya à Jabhat al-Nosra les font rire. Ces derniers mois, un groupe d'opposants a cherché à établir une ramification de Daech dans la ville, mais ils ont vite été retrouvés et arrêtés, explique Ahmed Mujahid, nom de guerre d'un chef de la communauté qui s'est entretenu avec BuzzFeed News via Skype.

    «Sérieusement?», s'est exclamé Ahmed Mujahid. «Ça fait trois ans qu'on utilise des injures et qu'on blasphème et maintenant ils disent qu'on fait partie de Jabhat al-Nosra?»

    Shadi Matar assure à BuzzFeed News que 90% des opposants de Darayya font partie de Shuhada al-Islam, les Martyres de l'Islam, une faction du Front du Sud (une coalition de groupes de l'Armée syrienne libre rebelle), et que les 10% des forces armées restants font partie d'une faction d'Al Ittihad al Islami li Ajnad al Sham, l'Union islamique des soldats de Damas.

    «Le régime essaie constamment de répandre l'idée que les gens et les factions de Darayya font partie d'Al-Qaïda ou de Jabhat al-Nosra, ou d'autres factions extrémistes», regrette Shadi Matar. «Tous ces hommes sont originaires de Darayya. Il n'y a pas d'étrangers ou de personnes extérieures à la ville.»

    «Le régime dit que Jabhat al-Nosra et d'autres groupes extrémistes sont dans Darayya, alors que nous serions menacés par les groupes de l'État Islamique s'ils arrivaient à atteindre Darayya», assure Ahmed Mujahid. «Cette ville est l’ennemie de tous les dictateurs: du régime et de ses milices ou de Daech, d'Al-Qaïda, et de leurs groupes».»