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    Le récit d'une des otages du Bataclan: «on devait enjamber des cadavres»

    Lynda était au concert des Eagles of Death Metal. Elle raconte le silence, la peur et la solidarité discrète qui s'est mise en place.

    Dans la nuit du 13 novembre, Paris a été la cible de plusieurs attentats terroristes. Au moins 129 personnes sont mortes et plus de 352 ont été blessées.

    L'attaque la plus meurtrière a eu lieu au Bataclan, où l'on dénombre pour l'instant au moins 89 morts.

    Lynda, 35 ans, originaire du Havre en vacances à Paris, assistait au concert des Eagles of Death Metal lorsque des hommes armés ont fait irruption dans la salle, et ont pris en otage les quelques centaines de personnes coincées à l'intérieur. Elle témoigne auprès de BuzzFeed France.

    Il est bientôt 22 heures et le concert du groupe américain est déjà bien entamé lorsque des coups de feu retentissent dans le Bataclan. Comme d’autres témoins, Lynda ne réalise pas tout de suite ce qu’il se passe:

    «Il y a eu une première chose, juste avant les coups de feu; j'ai entendu deux bruits qui ressemblaient à une sorte de craquement, ou un claquement... J'avais l'impression que ça venait du haut du balcon. [...] J'ai levé les yeux, je n'ai rien vu d'anormal, alors j'ai retourné mes yeux vers la scène. Puis j'ai entendu comme des bruits de pétard, mais je n'ai pas pensé que c'était des coups de feu. J'ai vu un homme avec une arme qui, de là où j'étais, avait l'air en plastique… Comme quoi j'étais encore dans le déni. Puis l'odeur de poudre est venue progressivement.»

    «Je n'ai vu qu'un seul individu, même si apparemment ils étaient quatre. Je ne l'ai vu qu'une fois, car ils nous ont dit de nous mettre à terre, et j'ai évité de bouger au maximum. Je ne pourrais pas dire combien de temps ont duré les coups de feu, le temps est un peu distendu je pense dans ces circonstances… Je ne voyais rien [...] Je ne savais même pas si en restant immobile j'avais des chances de rester en vie. Lorsque j'entendais des coups de feu, je me disais que c'était sans doute des gens qui avaient essayé de se lever. [...] C'est quand j'ai vu le sang que j'ai pris conscience que c'était pas une mauvaise blague.»

    Lynda se retrouve alors au sol, sans vraiment savoir ce qui se passe autour d’elle.

    «J'étais en partie allongée sur un homme qui avait du sang au niveau de son pantalon, je savais pas si c'était son sang à lui ou le sang de quelqu'un d'autre, mais en tout cas il pouvait bouger ses jambes. J'ai vu du sang sur mon tote bag, j'ai vu du sang sur ma main, je ne savais pas si c'était le mien ou celui de quelqu'un d'autre.»

    «Un des assaillants a commencé à faire référence à François Hollande, et a dit que si on était dans cette situation, c'était à cause de lui. Je crois que quelqu'un s'est levé, et l'assaillant a arrêté son discours assez brutalement et il a tiré sur des gens. [...]

    À un moment, quelqu'un a parlé très fort pour communiquer un numéro de téléphone, je ne sais pas si c'est un policier qui s'adressait aux assaillants ou vice versa.»

    S’ensuit un silence interminable dans la salle.

    «Pendant longtemps ça a été le silence. Les gens qui étaient blessés gémissaient, les gens commençaient à paniquer, on disait à tout le monde de se taire, de rester immobile.»

    Quand on demande à Lynda ce qui lui a traversé l'esprit pendant ces longs moments, elle répond:

    «J'avais l'impression d'être dans un mauvais rêve, j'étais dans le déni total, je me disais que c'était pas possible, et j'essayais de me dire, "non tu ne peux pas mourir aujourd'hui." J'essayais de me concentrer sur ma respiration. [...] Je me bouchais les oreilles à cause des bruit des coups de feu… J'avais des réactions vraiment irrationnelles, je me disais "il faut que je garde mon sac à côté de moi". J'avais peur qu'il se renverse, parce que dedans j'avais ma veste, la veste d'une amie, et je me disais "si on arrive à sortir, on aura froid". C'est étrange de se raccrocher à des choses comme ça.»

    Dans la panique, Lynda perd de vue ses ami-e-s, qu'elle ne retrouvera qu'une fois sortie de la salle, près d'une heure plus tard. Mais même entourée d’inconnu-e-s, le visage rivé au sol, une solidarité discrète se met en place.

    «On se serrait les mains, on se passait la main sur le bras, sur le dos pour essayer de se réconforter. [...] Quand les gens parlaient on leur disait de se taire parce qu'on ne savait pas comment ils [les assaillants] allaient réagir. J'essayais de m'assurer que les gens à coté de moi pouvaient respirer. [...] Il y avait des étrangers qui commençaient à paniquer, à parler dans leur langue, c'était difficile d'essayer de les calmer sans paraitre agressif...»

    Puis, enfin, les forces de l’ordre arrivent, et l’évacuation commence.

    «Les policiers nous disaient de ne surtout pas regarder le sol. Même un autre spectateur à coté de moi me disait "ne regarde pas le sol"... Mais avec le sang sur le sol, ça glissait, donc on n'avait pas vraiment le choix. En étant évacués, on devait enjamber des cadavres, donc on était obligés de regarder par terre.»

    À ce moment-là, Lynda ne sait pas où se trouvent les terroristes:

    «Notre évacuation est intervenue avant l'assaut. Je me disais, c'est pas possible, soit ils sont dans la rue, soit ils sont encore à l'intérieur. Alors même en sortant, j'étais pas rassurée.»

    Dehors, les survivants de la prise d’otages découvrent l’ampleur des événements de la soirée:

    «Je n'avais pas du tout réalisé qu'il y avait eu d'autres attaques à d'autres endroits, c'était assez étrange. [...] On nous a mis dans des cafés et des petits commerces de rues adjacentes, pour qu'on soit au chaud et pour se calmer, avant de faire nos déclarations. J'ai envoyé un SMS à mes ami-e-s pour leur dire ou j'étais, et c'est là qu'on s'est retrouvé.»

    Au lendemain des attentats, Lynda commence lentement à comprendre ce dont elle a été témoin:

    «En voyant les témoignages, j'ai réalisé qu'ils tiraient un peu au hasard. Ce matin, ça a été un peu le choc de me dire que j'ai vraiment eu de la chance, et mes amis aussi, statistiquement c'est incroyable. [...] On se rend compte qu'on n'est en sécurité nulle part, et quelles que soient les précautions qu'on prend, il suffit qu'on soit au mauvais endroit au mauvais moment.»