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    Pourquoi l'excuse préférée de Twitter ne fonctionne plus aujourd'hui

    À chaque fois que Twitter décide de modérer un contenu, le réseau social se refuse à tout commentaire et se réfugie derrière des «raisons de confidentialité et de sécurité». À l'ère de Donald Trump et de Charlottesville, cette esquive ne fonctionne plus.


    Les organisateurs de la manifestation de suprémacistes blancs Unite the Right, tenue les 11 et 12 août à Charlottesville, en Virginie, ont utilisé Twitter pour rassembler leurs supporters. Alors que la page Facebook de l'évènement avait été supprimée, Twitter avait laissé en ligne le tweet qui indiquait le lieu et l'heure du rassemblement. Un peu plus tard, une personne a été tuée et des douzaines ont été blessées (le compte de Jason Kessler, l'auteur de ce tweet, n'existe plus au moment de la publication de cette article). Personne ne sait vraiment pourquoi ce tweet est resté en ligne, car Twitter se réfugie à chaque fois derrière son excuse préférée: «des raisons de confidentialité et de sécurité».

    Depuis le début de la décennie, Twitter utilise cette politique avec succès pour se protéger de ses responsabilités. Ce faisant, la plateforme, l'une des plus visibles du monde et le moyen d'expression favori de Donald Trump, prive le public et la presse d'informations cruciales: comment décide-t-elle de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas? Même certains cadres présents lors de la création de cette politique affirment qu'elle ne devrait plus être utilisée comme une parade aux questions concernant la modération de Twitter.

    Cette politique du «no comment» est née lorsque Twitter n'était pas encore un lieu de prédilection pour l'action politique. Mais les insultes et le harcèlement en ligne persistent sur le réseau social, et lorsque Twitter refuse de s'expliquer, ses décisions passent pour arbitraires et opaques. Cette politique a été invoquée en lieu et place d'explications sérieuses et détaillées lorsque Twitter a pris des mesures contre certains harceleurs, lorsque l'entreprise a banni puis réintégré le nationaliste blanc Richard Spencer, et conservé des douzaines d'images, de tweets menaçants et de harcèlement, même après que les utilisateurs ont fait des signalements. Elle est aussi invoquée lorsque des hashtags sont accaparés par des harceleurs et que la modération du réseau social ne réagit que lorsque le mal est fait. Même lorsque Twitter est clairement en faute, comme quand un tweet sponsorisé est ouvertement raciste, le réseau social ne commente pas «pour des raisons de confidentialité et de sécurité».

    Ce tweet « sponsorisé » qui apparaît dans ma TL. Du mal à comprendre la politique commerciale de @TwitterFrance là.

    L'élection de Donald Trump, qui utilise systématiquement la plateforme pour menacer ses opposants et promouvoir ses points de vue, a accentué le problème. Le président américain semble avoir violé les règles de Twitter en déchaînant des foules contre ses opposants ou en menaçant de commettre des actes violents. Mais vous ne saurez jamais ce que Twitter en pense, car le président lui-même possède un «compte individuel».

    Twitter doit une explication à ses utilisateurs

    En décembre 2016, après que Trump a utilisé son compte Twitter pour attaquer Chuck Jones, un syndicaliste qui l'a critiqué, ce dernier fut noyé sous les appels menaçants, d'après le Washington Post. Un incident épineux et inédit pour Twitter: le président des États-Unis a tweeté quelque chose qui, d'après certains, était une violation claire de la politique d'incitation au harcèlement de Twitter (le New York Times l'a surnommé le «harceleur en chef».) Mais Twitter s'est refusé à tout commentaire.

    Twitter doit une explication à ses utilisateurs lorsque cela concerne un des hommes les plus puissants de la planète. Par exemple, dans le cas de Chuck Jones, est-ce que le tweet de Trump était tout juste dans les limites du comportement acceptable, ou bien la plate-forme a fait une exception pour le président élu? Pareil pour le tweet de Trump cet été déclarant que l'animatrice de télévision Mika Brzezinski «saignait abondamment à cause d'un lifting du visage». Est-ce que ce tweet respectait les règles de Twitter concernant les attaques ciblées? Ou était-ce une exception? Rien n'est sûr, car, à nouveau, Twitter s'est refusé à commenter les comptes individuels.

    Pour se défendre, Twitter et les autres entreprises de technologie suggèrent qu'en ne révélant rien, elles rendent la tâche plus difficile pour les harceleurs qui veulent exploiter et contourner les conditions générales d'utilisation. Mais en pratique, ces politiques rendent la tâche difficile pour les journalistes et tous ceux qui veulent tenir Twitter pour responsable de ses décisions parfois irrégulières. Et il y a des raisons de penser que la politique actuelle pourrait bénéficier aux personnes qui l'exploitent à des fins malveillantes: une tactique de harcèlement efficace consiste à employer les outils de lutte contre le harcèlement sur ceux qui se battent ou sont eux-mêmes harcelés.

    «Un manuel écrit il y a très longtemps»

    Selon un ancien cadre qui faisait partie de l'entreprise à l'époque, cette politique est née lors des débuts du service, quand Twitter ne pouvait pas gérer l'avalanche de requêtes qui pouvaient se produire durant des événements majeurs. Twitter n'avait pas non plus de point de vue arrêté sur comment traiter ces requêtes. Mais au fil des années, le réseau social a pris énormément d'ampleur, et se voit maintenant comme un service d'information. Même si l'entreprise a évolué, sa politique n'a pas changé.

    «Vu de l'extérieur, on dirait vraiment que l'entreprise se fie à un manuel écrit il y a très longtemps», a déclaré l'ancien cadre de Twitter à BuzzFeed News. «Si vous vous présentez comme la plate-forme d'expression la plus pertinente au monde, vous ne pouvez pas faire obstruction aux médias quand les gens veulent connaître vos règles en matière d'expression.»

    Un autre ancien cadre de Twitter a déclaré à BuzzFeed News que cette politique copie les politiques d'autres entreprises technologiques. Paypal, par exemple, a refusé de commenter les comptes individuels peu de temps après avoir banni le groupe d'extrême droite Génération identitaire, qui cherchait à lever de l'argent pour «Defend Europe».

    J'ai posé la question à Paypal sur la levée de fonds des identitaires de «Defend Europa». Voici leur réponse:

    Cet ancien cadre souligne également que si Twitter commençait à commenter les comptes individuels, l'entreprise serait dépassée par la quantité de communiqués qu'elle devrait rédiger.

    Le fait de ne pas partager des informations avec la presse est aussi motivé par des raisons tout à fait légitimes de protection de la vie privée des utilisateurs —notamment les citoyens lambdas. Twitter ne se fait pas attendre pour le relever: «Twitter prend la vie privée et la sécurité des utilisateurs très au sérieux, et nos utilisateurs nous font confiance pour défendre et respecter leur voix. C'est pourquoi nous ne commentons pas publiquement les comptes individuels. À la place, nous communiquons uniquement avec l'utilisateur directement concerné par tout problème de contenu, de confidentialité ou de sécurité», a déclaré un porte-parole de Twitter à BuzzFeed News.

    Expliquer les décisions importantes

    Mais il existe un compromis: Twitter pourrait facilement expliquer les décisions importantes –quand Trump menace de partir en guerre dans un tweet, ou quand des suprémacistes blancs s'organisent sur sa plate-forme– mais refuser de commenter les décisions de moindre importance.

    Facebook ne fait pas mieux. L'entreprise se cache régulièrement derrière des «bugs» et des «erreurs» quand elle retire du contenu important de son site, donnant peu d'information sur le processus qui a entraîné cette suppression. Toutefois, dans une conversation avec BuzzFeed News cette année, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a reconnu que son entreprise devrait être plus transparente et qu'elle avait encore des progrès à faire concernant son approche de la gestion de contenu. «Il y a de nombreuses choses que nous devons améliorer à ce sujet», a-t-il dit.

    Twitter a également exprimé publiquement un désir d'être plus transparent. À la fin de l'année 2016, son PDG Jack Dorsey a tweeté: «Nous avons définitivement besoin d'être plus transparents sur le pourquoi et le comment. C'est une grosse priorité pour cette année». Il a ajouté que l'entreprise «travaillait à mieux expliquer ses méthodes et à être plus transparente et réactive.» Mais Twitter n'a pas vraiment été plus transparent en 2017. En juillet, l'entreprise a mis en avant son processus pour combattre le harcèlement et a publié quelques chiffres internes sur la prévention des insultes. Mais les statistiques ne fournissaient que peu de contexte ou d'outil de comparaison. Quand en juillet, BuzzFeed News a présenté à l'entreprise 27 exemples explicites de harcèlement, Twitter n'a pas donné de réponse précise. Sa seule réponse, un communiqué standard.

    Ce post a été traduit de l'anglais.