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    20 minutes avec Tim Cook

    Le PDG d'Apple parle confidentialité, remplacement de l'ordinateur par l'iPad Pro, et nous dit pourquoi il n'est pas possible de supprimer cette foutue app Bourse, lors d'un trajet en voiture à travers Manhattan.

    Tim Cook est assis en biais, côté passager, sur la profonde banquette arrière d'une Cadillac Escalade noire roulant à travers Manhattan depuis le quartier de Flatiron jusqu'à l'Apple Store emblématique de la Cinquième Avenue, où un cube de verre géant trône au-dessus du magasin souterrain d'Apple. Personne du magasin ne sait qu'il vient. Pas le gérant. Pas le service de sécurité. Il n'est pas supposé arriver à une heure précise. Et durant les quelques 20 minutes nécessaires à la voiture pour se faufiler à travers la circulation de fin d'après-midi de Manhattan, je l'ai presque rien que pour moi.

    Tim Cook aime le secret. Il effectue ces passages éclairs périodiquement et il a constaté que les visites surprises sont beaucoup mieux pour tout le monde, y compris pour lui-même. Le PDG d'Apple visitant l'un des nombreux magasins de la marque est en soi un événement, en particulier pour les employés du magasin, qui risqueraient de stresser s'ils savait qu'il venait. Il préfère donc garder le silence:

    «J'y vais quasiment toujours sans prévenir», dit-il. «C'est rare que je dise à quiconque que je m'y rende. Mais j'essaie d'aller dans les magasins chaque fois que je me rends dans une nouvelle ville. C'est important.»

    Dans une autre voiture, serpentant également Manhattan en direction du même magasin, se trouve Eddie Cue, le senior vice president d'Apple, principal négociateur de l'entreprise et celui qui orchestre le nouveau service Apple Music et la nouvelle génération d'Apple TV. Également à bord, le vice-président de longue date d'Apple, Greg «Joz» Joswiak, qui s'est occupé du marketing de l'iPhone et d'iOS depuis le tout début. Eux aussi ont déjà effectué certaines de ces visites surprise, mais Eddie Cue précise qu'ils finissent généralement par être spectateurs comme tout le monde: «Il n'y en a que pour Tim.» (Plus tard, après avoir regardé Tim Cook poser pour d'innombrables selfies avec les clients et les employés de l'Apple Store, Eddie Cue en prendra un aussi son patron. «J'y ai bien droit aussi», dira-t-il en plaisantant.)

    Il y a dix jours, Tim Cook et Eddie Cue – ainsi qu'une poignée d'autres cadres d'Apple – ont présidé un événement médiatique présentant deux nouveaux iPhones, la modernisation longuement attendue de l'Apple TV, le nouvel iPad Pro de 12,9 pouces et le Pencil, un stylet sensible à la pression qui transforme ce dernier en carnet de croquis, outil d'imagerie médicale ou bloc-notes. C'était un lancement important, qui s'est déroulé au Bill Graham Civic Auditorium, une véritable salle de concert de 7000 places ayant accueilli des vedettes telles que The Who, Skrillex, Swedish House Mafia et la convention nationale des Démocrates de 1920.

    Mais aujourd'hui, ils quittent la mise en scène orchestrée minutieusement pour une apparition dans le monde réel. Les choses risquent de mal se passer, mais Tim Cook est détendu. Par exemple lorsque BuzzFeed News le questionne à propos des implications liées à la confidentialité de «Dis Siri» (une fonctionnalité active en permanence sur les nouveaux iPhone 6s et 6s Plus, qui se déclenche avec seulement ces deux mots: «Dis Siri»).

    «Tout d'abord vous pouvez décider de ne pas utiliser "Dis Siri"», répond Tim Cook. «Mais la véritable réponse à cela est que les informations sont conservées sur l'appareil, elles ne repartent donc pas vers Apple. Apple n'y a pas accès. Il n'y a donc pas de problème de confidentialité, je pense, pour la plupart des gens, lorsque les informations sont conservées sur leur appareil et qu'ils peuvent les crypter avec leur code de sécurité.»

    «J'espère que les gens regarderont notre position sur la confidentialité en général et qu'ils savent que nous n'essayons pas d'opérer au-delà des limites que nous nous sommes fixées», élabore-t-il. «J'espère que les gens nous font confiance pour faire ce qui est juste.»

    «Dis Siri» n'est que l'une des fonctionnalités importantes que Tim Cook a annoncées il y a dix jours à propos des nouveaux iPhones. Apple renouvelle l'iPhone selon un cycle «tic-tac», l'appareil «tac» étant généralement un affinement modeste de l'appareil «tic» sorti l'année précédente avec un nouveau design et d'autres améliorations importantes. Nous sommes traditionnellement dans une année «tac», mais Tim Cook est irrité par cette notion. «Ce n'est vraiment pas une édition bouche-trou», soutient-il, «Il y a de profonds changements».

    Il s'agit d'un cycle important. Au-delà des composants internes dopés améliorant la rapidité, les graphismes et la connectivité de l'iPhone, on trouve un nouveau type de photos animées («Live Photos»), la fonction «Dis Siri», et surtout «3D Touch», une nouvelle génération de Multi-Touch permettant différents niveaux d'interaction en fonction de la pression exercée sur l'écran de l'iPhone 6s. Apple nomme ces interactions «Peek» et «Pop», la première activant un aperçu d'une app et la dernière lançant l'app elle-même, chacune étant accompagnée de pulsations permettant de distinguer les deux.

    Tim Cook est passionné par tout ça. Il décrit Live Photos avec une hyperbole quasi Jobsienne: «Je pense que Live Photos est un média qui n'existait pas encore. C'est comme découvrir un nouveau genre.» Mais il est surtout excité par 3D Touch. «Je pense personnellement que 3D Touch va changer la donne», dit-il. «Je trouve que mon efficacité est vraiment accrue avec 3D Touch, parce que je peux consulter énormément d'e-mails vraiment rapidement. Le nombre d'étapes de navigation est vraiment réduit pour atteindre ce que l'on veut.»

    Une simple démonstration rapide permet de comprendre son point de vue. C'est une nouvelle fonctionnalité majeure de l'interface, qui menace de bouleverser la façon dont nous naviguons sur nos téléphones, en particulier lorsque les développeurs tiers commenceront à la mettre en œuvre dans leurs applications. Apple a tout fait pour concevoir ce 3D Touch de façon à ce qu'ils le fassent.

    Pour Tim Cook, 3D Touch est une fonctionnalité phare non seulement de la série 6s, mais de l'iPhone en général, et elle démontre que l'entreprise ne réserve pas ses innovations majeures pour les années «tic». «Dès que les produits son prêts, nous les commercialisons», explique-t-il. «Il n'y a aucune retenue. Nous n'allons jamais dire "Gardons ça pour la prochaine fois". Nous préférons livrer tout ce que nous avons et nous mettre la pression pour faire encore mieux la fois suivante.»

    Cette fois-ci, «tout ce que nous avons» comprend un nouveau tournant: un programme de renouvellement d'iPhone –pour l'instant réservé aux États-Unis– qui permettra aux utilisateurs de financer un iPhone 6s ou 6s Plus par versements mensuels et d'obtenir le tout dernier iPhone sans frais supplémentaires chaque année. Ce changement, qui rompt avec la subvention traditionnelle des opérateurs sur deux ans, semble destiné à transformer les clients des opérateurs mobiles en clients d'Apple, et il a immédiatement fait froncer les sourcils dans le secteur. Mais Tim Cook insiste sur le fait que l'intention de l'entreprise est simplement d'améliorer la satisfaction des consommateurs.

    «Le programme de renouvellement est simplement la reconnaissance que le processus d'achat d'un iPhone pouvait être simplifié, et qu'il y a des personnes qui aimeraient avoir la dernière version chaque année», explique-t-il. «Ceci simplifie les choses et je pense que les gens vont l'apprécier.» C'est une réponse honnête, mais aussi un argument commercial. Le programme simplifie le renouvellement d'un iPhone, et seulement d'un iPhone. Il détourne les clients d'autres choix de smartphones, en leur proposant automatiquement un nouvel iPhone chaque année et en stabilisant ainsi probablement le cœur des ventes d'iPhones. C'est bien pour les consommateurs, mais c'est bien – si ce n'est mieux – pour Apple.

    Deux dernières questions tandis que nous débouchons sur la Cinquième Avenue: la première – à quel point sommes-nous proches d'une époque où les gens arrêteront d'acheter des ordinateurs fixes et des ordinateurs portables pour n'utiliser que des tablettes? Est-ce qu'ils abandonneront leur Mac pour un iPad Pro? «Je pense que certaines personnes n'achèteront jamais d'ordinateur», dit Tim Cook. «Parce que je pense que nous sommes maintenant au point où l'iPad fait tout ce que certaines personnes veulent faire avec leur ordinateur.» Il s'empresse toutefois de préciser que cela n'annonce pas la fin du Mac. «Je pense qu'il y a d'autre personnes – dont moi – qui continueront à acheter un Mac et qu'il continuera à faire partie des solutions numériques pour nous», ajoute-t-il. «Je vois le Mac comme une partie essentielle d'Apple pour le long terme, et je vois une croissance du Mac à long terme.»

    La deuxième question concerne une bête noire et nous le prévenons que nous allons lui demander quelque chose de désagréable.

    C'est à propos du problème des apps indésirables de l'iPhone. Pourquoi y a-t-il des apps sur iOS que je ne peux pas supprimer même si je ne les utilise jamais?

    Pourquoi Apple insiste pour que je conserve Astuces et Bourse sur mon iPhone alors que mon souhait le plus cher est de les effacer? Pour Tim Cook, cette question semble familière. «C'est un problème plus complexe que ce qu'il en a l'air au premier abord», dit-il. «Certaines apps sont reliées à quelque chose d'autre sur l'iPhone. Si elles étaient supprimées, cela risquerait de créer des problèmes pour d'autres fonctions du téléphone. Il y a d'autres apps qui ne sont pas comme ça. Donc avec le temps, je pense que pour celles qui ne sont pas comme ça, nous trouverons un moyen [pour que vous puissiez les supprimer]... Ce n'est pas parce que nous voulons occuper votre espace disponible, nous n'avons aucun intérêt à faire ça. Nous voulons que vous soyez satisfaits. Je reconnais que certaines personnes veulent pouvoir le faire, et c'est quelque chose que nous prenons en considération.»

    Et sur ces paroles, les portières s'ouvrent et il sort. C'est une promenade tranquille le long des quelques 20 mètres entre le bord du trottoir et le grand cube de verre recouvrant l'Apple Store de la Cinquième Avenue. Tim Cook sourit tandis qu'il marche. Un réceptionniste se tient à l'entrée lorsque nous arrivons. «Bienvenue à l'A–», commence-t-il avant de réaliser au milieu de sa phrase qu'il s'adresse au PDG de l'entreprise. Son visage s'illumine: «Bonjour Tim!». Lorsque je bavarde avec lui par la suite, il décrit ce moment comme étant «littéralement la dernière chose» à laquelle il s'attendait aujourd'hui. «Mais c'est génial de rencontrer le big boss».

    Tim Cook descend l'escalier de verre du magasin, arrive au sous-sol bondé et se tient là pendant un moment, apparemment anonyme, avant que deux employés le remarquent avec un temps d'arrêt presque comique. Il leur dit bonjour, bavarde un peu et pose pour un selfie. Une petite foule se forme. La nouvelle se répand et tout à coup, c'est le chaos.

    Il est assailli par les employés et les clients. La plupart veulent lui serrer la main ou prendre une photo. Quelques uns lui font une accolade. À un moment, un homme âgé me repousse pour se trouver en meilleure position pour prendre une vidéo avec son iPad. Son écran est fêlé et il me vient à l'esprit qu'il était probablement en train de faire la queue au Genius Bar quand cette pagaille a commencé. Je l'interroge mais il ne parle pas anglais. La scène est à la fois bizarre (des gens font une accolade au PDG d'Apple dans un Apple Store) et bizarrement charmante (le PDG leur fait une accolade en retour). Si j'étais davantage cynique, je ne verrais là qu'une offensive de charme tactique suivant le lancement d'un produit, mais ce n'est vraiment pas ça. Tim Cook passe visiblement un bon moment, dynamisé par l'énergie de la foule. Et quand le gérant du magasin, clairement submergé, l'attrape et l'implore d'aller voir les employés travaillant à l'arrière avant de repartir (ce qu'il fait), il est évident que personne n'était au courant de la visite de Tim Cook avant qu'il n'apparaisse.

    20 minutes plus tard, il se dirige vers la porte de derrière. Tandis qu'elle s'ouvre, un employé accourt: «Tim! Est-ce que je peux prendre une photo en vitesse?». Tim Cook sourit. Il se retourne. La porte se referme alors qu'il revient à l'intérieur: «Oui, bien sûr.»

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